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Intérêt, rôle et limite d’une expérience comme la L.B.C.

1- Pourquoi une librairie

 ?

Le contexte local est primordial dans la création de la librairie. Les lieux privilégiés de rencontre et de réunions se disloquant les uns après les autres, il est apparu à certains, nécessaire de créer un point d’achoppement pour éviter une
trop grande désarticulation des divers groupes et individus. Et par ailleurs, l’absence de librairies suffisamment ouvertes : dépôt de revues, sélection permanente... laissait stagner Stras­bourg dans son provincialisme : l’information (revues, brochures textes en tout genre) étant toujours centralisée dans les hauts lieux parisiens. Ces deux éléments sont donc les motivations centrales de la L. B, C. Mais que sont-elles devenues par la suite ?...

2- Le lieu de rencontre et l’"espace de liberté"

Dès le départ, la librairie s’est définie en dehors des Partis et des Groupes officiels, I1 n’a jamais été question d’une cohésion politique, la disparité des groupes fondateurs étant un fait admis et respecté. D’ailleurs, une telle entre­prise en province (à l’exception de Lyon) n’est guère possible sans une large participation de groupes et d’individus. Paris a vu fleurir une série de librairies militantes : conseillistes, Mao (en tout genre), eco-m...e, parpaillote, anar-stali­nienne, anar-spontex, underground ... ; ces "entreprises "vi­votent grâce à la surpopulation parisienne. Mais en province une orthodoxie quelconque est impensable.

Comme nous l’avons vu, les problèmes financiers sont au premier plan, il est né­cessaire de faire le plein (sur un seul endroit) d’une clien­tèle (?) déjà très sélectionnée. En plus notre présence a d’u­ne certaine façon encouragé (et obligé) les autres libraires traditionnels et religieux à faire vitrine... ; la concurrence n’est donc pas un leurre.

L’espace de liberté s’est très vite dévoilé illusoire. Après une première période d’euphorie il a bien fallu se ren­dre à l’évidence : une rentabilité commerciale n’est pas compatible avec un foutoir marginalo-undergroundien, ni un militantisme inflationniste.

La librairie pour se maintenir devait se détacher d’un engagement direct. Les possibilités qu’elle offre : tableau d’affichage, permanence, vitrines pour l’information n’ont d’ailleurs presque jamais été réel­lement utilisées. Il nous semble plus pertinent lors d’une action quelconque d’investir des locaux plus symboliques :
église, centre culturel, maison inoccupée, université et ainsi’ éviter de surcharger la gestion, (Sans oublier l’aspect répres­sion).

La librairie demeure cependant un "centre récepteur et trans­metteur d’impulsions diverses". A ce niveau son rôle est de per­mettre à des individus de se regrouper. La librairie est surtout une aire de lancement d’initiatives ; les groupes pouvant pour continuer leur action "s’autonomiser".

La librairie du moins au début, par sa volonté (slogan) d’être un espace de liberté, a été perçue comme une matrice bien chaude et idyllique. Ses limites sont très nettement marquées par sa forme commerciale qui dicte et impose ses exigences et ­ ses lois imparables de rentabilité. (La notion de bénéfice n’étant pas encore entrée en ligne de compte).

C’est donc en tant que librairie que cette tentative offre des possibilités et trouve sa fonction principale ...

3- La librairie et la diffusion,

Le parisianisme règne autant dans les sphères révolutionnai­res que dans l’ensemble de la vie culturelle, politique et soci­ale. Aussi bien souvent, le premier mouvement des groupes qui veulent sortir de leur isolement est de créer un centre de dif­fusion des écrits : la formule de la librairie étant la plus courante (Brest, Poitiers, Le Havre, Lille, Nancy, Besançon,.,) Nous avons reçu des demandes de renseignements pour ouvrir une librairie coopérative. Ce besoin est significatif car l’isole­ment est une source de frustration qu’il faut briser.

Ce sont surtout les brochures et les revues qui circulent
le moins. L’ouverture d’une librairie permet la diffusion de tou­te cette littérature en marge des diffuseurs officiels. A l’ou­verture de la librairie, nous avons été envahis de revues en tous genres... Le paradoxe de cette littérature est d’être re­cherchée (donc lue) mais non achetée et parfois non vendable car illisible ou sans intérêt). En plus la prolifération de cet­te production nécessite pour la vente une surface importante et une bureaucratie très lourde. Le prix modique ne laisse pra­tiquement pas de marge bénéficiaire et le paiement demande un travail considérable. Si bien que ce secteur est très largement déficitaire. Il faut en tirer une double conclusion :

 1)Une sélection est nécessaire sur des critères à la fois objectifs de lisibilité et subjectifs : intérêt de la revue.
 2-)Le mode de diffusion est à reconsidérer globalement.

L’autre axe de la librairie concerne la littérature politi­que et générale. La difficulté étant de conserver en permanence une sélection de titres. Pour bien comprendre les difficultés
rencontrées, il.nous semble nécessaire d’ouvrir une parenthèse sur le système d’édition.

Les éditeurs, [1] dans leur majorité, sont regroupés au sein d’organisme de diffusion : SODIS, (Gallimard : Denoël), Hachette ; UNION-DIFFUSION (Groupe Flammarion), ARC-EN­CIEL ; ODEON-DIFfUSION... Chaque diffuseur envoie d’office les nouveautés au libraire qui peuvent les retourner tous mois plus tard. Si bien que les libraires gardent les livres environ 3 à 6 mois. Cela explique que certains livres passé ce délai, sont
pratiquement "introuvables". Par ailleurs, le système des offices implique pour le libraire de disposer d’un fond de roulement financier important.

Dans la cas de la L,B,C, pour recevoir les concernant notre sélection, nous sommes obligés d’avoir une mas­se de livres douteux. Refuser ce système c’est recevoir les nou­veaux titres deux ou trois semaines après les autres libraires.

A la lumière de ce bref aperçu technique, on constate que l’objectif fixé : avoir une sélection permanente, n’est pas fa­cile à tenir, car les livres de fond n’ont pas de rotation im­portante (mise à part la marchandise situationniste) si bien que la masse de la sélection représente un stock assez important (en gestion capitaliste un stock est une charge financière). Mais ce fond permanent est un outil de travail. Le second objectif
à long terme est de mettre cette sélection en bibliothèque de prêt : il n’est pas nécessaire d’acheter tous les livres que l’on lit. Les problèmes financiers et techniques ne sont pas résolus et tant que la gestion ne sera pas équilibrée, le projet demeu­re utopique. Néanmoins, la consultation sur place est déjà une possibilité qui d’ailleurs, est déjà très largement utilisée.

Le rô1e révolutionnaire d"une librairie n’est pas une évi­dence. Le récent sabordage de la librairie la Vieille Taupe nous apporte les éléments critiques qu’il nous semble bon de repren­dre. (Un BAIL A CEDER), C’est un fait que "tous les éléments de la théorie révolutionnaire sont sur le marché mais pas leur "mode d’emploi" et "ce n’est pas du ressort d’une librairie" pré­cisent les signataires.

Dans le Mouvement Communiste N° 4 p,52 la dissolution de la V,T, est de nouveau analysée en ces termes : "La création de cette librairie correspondait à la nécessité
de liens théoriques (impliquant la circulation de textes) en­tre les membres d’une minorité radicale isolée. Le mouvement communiste renaissant a dépassé ce stade, rejetant tout lieu privilégié, et entre autres les librairies. Il y a toujours un besoin dé théorie, mais il n’est plus avant tout théorique. La pratique qu’il exprime est elle-même diversifiée, et sociale à tous les niveaux de la vie. De plus la demande de textes révo­lutionnaires ou sur la révolution, considérablement accrue de­puis 1968, est qualitativement différente : la majorité des a­cheteurs consomme l’image de la révolution. Le commerce du livre a en fait deux fonctions. Celle d’information et de clarifica­tion est de loin la moins importante. I1 sert surtout à faire vivre dans la représentation du changement ceux qui sont inca­pables de l’effectuer. Aussi, s’intéresse-t-on à toutes les luttes, les remises en cause, faute de pouvoir soi-même chan­ger la vie, et d’abord la sienne, sinon en apparence, ou margi­nalement. Par delà sa-vulgaire forme phénoménale, le livre est bien plus le support d’un refus du réel ; refus qui peut être fuite ou dépassement,réel, selon qu’il reste mouvement d’idées permettant de supporter l’horreur du monde actuel, ou s’inscrit dans un effort de clarification pour agir,"

Nous partageons cet­te opinion sur la consommation du code révolutionnaire totalement et nous ajouterons même que la capitalisation du livre et de son contenu révolutionnaire n’est qu’un paravent illusoire et une facette de l’esprit possessif. La consommation théorique étant un alibi face à une impuissance dans la pratique : incapacité de sortir des "luttes" et du schéma classique du gauchisme, su­bordination aux initiatives stéréotypées des groupes institués (et instituant),

Nous ne sommes pourtant pas entièrement d’accord avec l’affirmation "cette action ne peut plus être principalement l’affirmation et la diffusion de la théorie révolutionnaire". Ceci est pertinemment juste pour Paris. L’état de sous-ali­mentation de la province demande quelques nuances. Et d’autre part, si la théorie est disponible sur le marché, (les édi­teurs ont toujours une girouette dans le sens du vent de l’his­toire) il faut voir à quel prix... et le camarade Barot n’est pas des moins chers. Aussi, réaffirmons-nous (Cf. la présen­tation du numéro de 1a Marge sur les Conseils ouvriers en Allemagne) la nécessi­té de repenser le problème toujours fondamental de la diffusion en d’autres termes.

Reprenons l’exemple de la vente des revues à la L,B,C. Nous avons vu qu’elle nécessite à la fois beaucoup de place et une bureaucratie. La diffusion se heurte donc au niveau librai­re à la bonne disposition de celui-ci qui n’est pas toujours d’ordre politique mais aussi mercantile (avoir un rayon "enga­gé" c’est parfois une façon intelligente de se dédouaner face à une clientèle qui consomme beaucoup de papier).

En regroupant sous une seule facturation 10, 20, 40, revues, brochures, livres de petits éditeurs on concentre le travail du libraire qui au lieu de tenir une comptabilité spéciale et peu lucrative n’aura qu’une seule facture. Ainsi, au niveau librai­re, les possibilités de bon accueil pour une presse et une lit­térature fortement politisée sont fortement accrues. Ceci n’est pas une vue de l’esprit, deux ans d’expérience de librairie
nous l’ont largement démontré.

Et pour les revues, groupes éditeurs, petits éditeurs, cette diffusion peut les décharger d’un travail fastidieux et souvent réservé aux "nénéttes" (au M.L.F. certainement ) du groupe, La L.B.C. en tant qu’organisme commercial reconnu (registre du com­merce) peut entrer en relations commerciales et ainsi plus
fa­cilement recouvrir les sommes dues ce qui n’est pas toujours aussi simple. La possibilité de mise en contentieux n’étant pas à exclure.

Il ne s’agit pas pour nous de récupérer et de se faire du fric, mais simplement d’exploiter à fond les possibilités of­fertes par la L,B,C. Il va de soi que cette diffusion n’est pas bénévole, mais la formule coopérative permet au groupe le
dési­rant de participer directement à la gestion et d’avoir un re­gard sur la diffusion.

La création de "territoire" comme la L,B,C, est une néces­sité géographique qui permet la meilleure circulation des in­formations et brise l’isolement des groupes. Mais sa nature_com­merciale lui assigne des limites rigoureuses ; c’est donc cette "fonction" qui doit être utilisée au maximum, La L.B.C. ne se substitue en aucun cas aux luttes. Elle peut être un moyen et un instrument d’ouverture. La diffusion et l’édition sont ses attributs possibles pour lesquels elle peut apporter des atouts majeurs.


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