Ce texte est une brève introduction à l’anarchisme en Allemagne. C’est écrit d’un point de vue subjectif de militant anarchiste non violent. Je souhaitais écrire une vraie histoire de l’anarchisme en langue allemande, cependant je ne suis pas assez informé pour pouvoir raconter des événements qui se sont déroulés en Suisse et en Autriche. Alors, les mouvances et les personnages de Suisse et d’Autriche n’apparaîtront ici qu’en relation avec l’anarchisme en Allemagne.
Max Stirner et l’anarchisme individualiste, John Henry Mackay
Max Stirner (1806-1856) est le père de l’anarchisme individualiste à cause de son célèbre livre Der Einzige und sein Eigentum (L’Unique et sa propriété) [1], paru en 1844. Max Stirner est le pseudonyme de Johann Caspar Schmidt. Il était enseignant à Berlin. Avant la révolution de 1848 il fréquenta le groupe Die Freien (Les Libres) composé de jeunes hégéliens. Stirner a parfois écrit dans le Neue Rheinische Zeitung (Nouveau Journal rhénan) de Karl Marx. Mais plus tard Marx a attaqué Stirner dans son livre Die deutsche Ideologie (L’Idéologie allemande). La critique marxiste selon laquelle les anarchistes sont des petits-bourgeois individualistes vient de cette polémique. Stirner n’a jamais utilisé le mot « anarchiste » et son influence sur les courants libertaires de langue allemande est faible.
John Henry Mackay (1864-1933), d’origine écossaise et allemande, fut un successeur de Stirner à la fin du XIXe siècle. Il était écrivain et fréquentait le cercle des artistes du Neue Freie Volksbühne (Nouveau Théâtre libre du peuple). Il y rencontra Heinrich et Julius Hart, Bruno Wille, Johannes Schlaf, Erich Mühsam, Gustav Landauer et d’autres anarchistes. Son roman le plus populaire fut Die Anarchisten (Les Anarchistes), paru en 1891 [2]. Les anarchistes individualistes existent toujours et à Berlin il y a une Société Mackay qui publie le journal individualiste Espero.
Naissance de l’anarchisme de langue allemande en Suisse orientale, influence de la Fédération jurassienne
Pendant la Révolution allemande de 1848 il y eut des libres-penseurs comme Georg Herwegh et Ferdinand Freiligrath. Il y eut quelques individus comme Wilhelm Marr et d’autres qui ont utilisé le mot « anarchiste », mais pas de groupes ou de mouvement anarchiste. Michel Bakounine était sur les barricades en mai 1849 avec Richard Wagner à Dresde. Bakounine organisa la défense militaire des révolutionnaires de Dresde, mais tous les deux n’étaient pas encore de vrais anarchistes [3]. Les années 1840 et 1850 virent la publication d’environ cinquante livres de Proudhon ou sur Proudhon, mais pas l‘apparition de militants anarchistes [4].
On peut fixer la naissance de l’anarchisme de langue allemande en Suisse orientale après la scission de l’Association internationale des travailleurs. La Fédération jurassienne publia en 1874 le Social-Demokratisches Bulletin (Bulletin social-démocrate) puis en 1876-1877 le Arbeiterzeitung (Journal des ouvriers) en langue allemande pour les militants de Suisse occidentale et les militants allemands en exil en Suisse. Le journal était communiste-anarchiste et défendait la propagande par le fait. Le jeune Kropotkine y élabora avec Paul Brousse, August Reinsdorf et d’autres un statut pour un Anarchistisch-kommunistische Partei deutscher Sprache (Parti anarchiste-communiste de langue allemande). Il ne dura que d‘avril à octobre 1877 [5].
August Reinsdorf, la propagande par le fait
et la loi antisocialiste
Après son retour en Allemagne en avril 1877, à Leipzig, August Reinsdorf (1849-1885) fit de la propagande et reussit à organiser quelques groupuscules anarchistes en terre allemande. Il rencontra l’ancien parlementaire social-démocrate Johann Most (1846-1906) lors de sa visite à Fribourg, en Suisse. Most, devenu social-révolutionnaire, se réfugia dès 1878 à Londres où il fonda le journal Freiheit (Liberté). Most disait qu’il n’était pas anarchiste jusqu’à sa rencontre avec Reinsdorf en 1880 [6]. Reinsdorf écrivait des articles pour Freiheit, qui est devenu anarchiste en 1881. Dans les années 1880, les anarchistes formèrent une cinquantaine de groupes représentant 200 à 300 militants. En 1883, ils pouvaient distribuer environ 4 500 exemplaires de Freiheit dans l‘Allemagne impériale. Le journal était alors édité à Londres. Son siège fut transféré à New York en 1882. Pour la distribution, des passeurs, comme Johann Neve, expédiaient le journal sur la frontière. En Allemagne, il existait des groupes clandestins de cinq personnes sur le modèle de Babeuf [7].
Contre la répression de Bismarck dans l‘Allemagne impériale, le Parti social-démocrate réagit de manière opportuniste. Le courant des sociaux-révolutionnaires critiqua ce légalisme. Le 11 mai 1878, Max Hödel tira sur l‘empereur Guillaume Ier, mais ne réussit pas à l‘atteindre. Hödel connaissait des anarchistes, mais il ne l’était pas lui-même. Le 2 juin 1878, Dr. K. Nobiling tira sur l‘empereur et le blessa grièvement. Nobiling n‘avait aucun lien avec les courants politiques ; il n’était ni libertaire ni social-démocrate. Mais le chancelier Bismarck profita des attentats pour édicter des lois antisocialistes entre 1878 et 1890. Il y eut beaucoup d’arrestations. À Francfort 44 personnes furent arrêtées, 15 furent condamnées de un à trois ans de prison ferme. Pendant le procès, s‘illustra un commissaire de police particulièrement répressif, Rumpf. Le 13 janvier 1885, Julius Lieske, venu de Genève, attaqua Rumpf à coups de couteau. Rumpf décéda et Lieske fut décapité le 17 novembre 1885.
En réponse à la répression impériale, August Reinsdorf avait prévu un attentat contre l’empereur lorsque celui-ci inaugurerait le mémorial de Niederwald à Rüdesheim-sur-le-Rhin, au mois de septembre 1883. Reinsdorf étant malade, deux de ses amis se chargèrent de faire éclater la bombe, mais ce fut un échec car le cordeau était mouillé. Furieux, ils jetèrent alors la bombe dans un restaurant. Reinsdorf et Küchler furent décapités le 7 février 1885. Ce furent les actes de la propagande par le fait en Allemagne [8].
Le groupe de Londres, Josef Peukert ; Johann Most
et la Freiheit à Londres et à New York
Josef Peukert (1855-1910) et Johann Most participèrent au congrès de l’Association internationale des travailleurs à Londres en 1881. Josef Peukert était d’origine autrichienne, il diffusa Freiheit en Autriche et fonda des groupes à Vienne et à Linz. Son influence sur le mouvement libertaire en Autriche fut importante.
Le départ de Most pour New York rendit plus difficile la diffusion de Freiheit en Allemagne. Peukert critiqua Most pour avoir déplacé Freiheit à New York. Peukert ne considérait pas Most comme anarchiste. Il pensait que Most resterait toujours social-revolutionnaire, c‘est-à-dire trop proche de la social-démocratie. Peukert fonda en 1884 le journal Rebell (Rebelle) et plus tard le groupe Autonomie ainsi que le journal Autonomie (L’Autonomie), qui fut le journal introduit clandestinement le plus important en Allemagne jusqu’à sa disparition en 1893. Peukert fut critiqué par la fraction Most, car il avait rendu visite à Johann Neve en Belgique en 1887 accompagné d‘un indicateur de police. Neve fut arrêté et condamné à quinze ans de prison ferme [9].
Johann Most resta à New York et fit la connaissance d’Emma Goldman. Il diffusa Freiheit parmi les exilés allemands aux États-Unis.
Haymarket 1886, et les anarchistes de langue allemande
de Chicago ; August Spies et la Arbeiter-Zeitung
Beaucoup de pauvres, qui venaient d‘Allemagne orientale au XIXe siècle, ainsi que de nombreux persécutés politiques allemands émigrèrent aux États-Unis. Entre 1886 et 1872 ils furent 500 000. Beaucoup d‘Allemands exilés aux États-Unis s’installèrent à Chicago pour travailler dans l’industrie de la viande, dans l’agroalimentaire ou l‘industrie du bois. Des quartiers entiers étaient peuplés d‘Allemands. Vivant dans des conditions lamentables, ils devinrent souvent libertaires. On peut dire que le plus gros mouvement libertaire allemand au XIXe siècle se trouvait aux États-Unis parmi les immigrés allemands. Ils participèrent au mouvement ouvrier qui fut impliqué dans les événements de Haymarket à Chicago en 1886. Beaucoup d’anarchistes condamnés pour la bombe qu’ils n’avaient pas jetée furent des anarchistes de langue allemande. Georg Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, August Spies furent condamnés à la peine de mort par pendaison, Oskar Neebe et Michael Schwab furent condamnés à de longues peines de prison. En particulier August Spies (1855-1887), qui venait d’un village de Hesse, et qui était un militant ouvrier très populaire pour sa participation dans le mouvement pour la journée de travail de huit heures. Spies dirigea le quotidien Chicagoer Arbeiter-Zeitung (Journal des ouvriers de Chicago) avec un tirage de 5 800 exemplaires en 1886. Il participa à d’autres publications libertaires de langue allemande [10].
Les « jeunes » sociaux-démocrates et leur séparation d’avec le parti (Rudolf Rocker, Gustav Landauer et Der Sozialist)
Pendant ce temps, à l’intérieur de l’Allemagne, de jeunes membres du Parti social-démocrate étaient mécontents de la stratégie légaliste et réformiste du parti. Leurs critiques étaient tournées en ridicule par Wilhelm Liebknecht et Friedrich Engels. Ils les appelaient « Die Jungen » (« les jeunes »). Les jeunes ont quitté le parti et fondé la Verein unabhängiger Sozialisten (Association des socialistes indépendants). Parmi eux se trouvaient Gustav Landauer (1870-1919) et Rudolf Rocker (1873-1958), les intellectuels les plus importants du mouvement libertaire allemand. « Les jeunes » publièrent le journal Der Sozialist (Le Socialiste) à partir de 1891, qui fut antiparlementaire, mais toujours marxiste. Le journal fut dirigé dès 1893 par Gustav Landauer et changea son sous-titre en « organe pour l‘anarchisme-socialisme », avec une tendance libertaire jusqu’en 1899.
Landauer était influencé par Proudhon, qu’il traduisit en allemand. Sa deuxième épouse était Hedwig Lachmann, traductrice entre autres d’Oscar Wilde et auteure de poèmes lyriques symbolistes. En 1908, Gustav Landauer fonda avec Erich Mühsam (1878-1934) et Martin Buber (1878-1965) une organisation intitulée Sozialistischer Bund (Fédération socialiste). Landauer rédigea des tracts et des ouvrages littéraires, culturels et politiques.
Les œuvres les plus importantes de Landauer sont Revolution (Révolution) (1907) et Aufruf zum Sozialismus (Appel au socialisme) (1911). Dans Revolution, il expose les théories d’Étienne de La Boétie sur la pyramide du pouvoir et la puissance du refus d’obéissance. Il avait découvert le Discours de la servitude volontaire de La Boétie en lisant les textes de l’anarchiste russe Léon Tolstoï. Dans Aufruf zum Sozialismus il décrit le moyen de réaliser la révolution. Il faut d’abord s’écarter de la société ordinaire, puis connaître la solitude, puis s’associer avec des copains qui ont la même aspiration.
Économiquement il fit de la propagande pour les coopératives et la fondation de colonies dans des villages, à la campagne, comme solution à la situation lamentable des ouvriers dans les cités capitalistes et industrielles. C’était un peu anti-industriel, mais Landauer influença quand même fortement Martin Buber et d’autres protagonistes du mouvement des kibboutz en Palestine ainsi que les mouvements alternatifs des années 1970.
En Allemagne, il publia aussi une nouvelle édition de Der Sozialist entre 1909 et 1915 avec un tirage de 2 000 à 4 000 exemplaires. Son organisation, la Fédération socialiste, comprenait environ 20 groupes, dont une colonie de végétariens, Eden, à Oranienburg près de Berlin. Chaque groupe se composait de 15 à 20 membres. Mais l’organisation dépendait de Landauer qui en était l‘élément principal. En Suisse, des contacts se nouèrent avec Margarete Faas-Hardegger, qui écrivit dans le Sozialist, et en Autriche avec Pierre Ramus, anarchiste non violent [11].
Quant à Rudolf Rocker, il écrivit un très grand nombre de livres, par exemple sur Max Nettlau, le grand historien de l’anarchisme, qui fournit sept tomes sur l’histoire anarchiste pendant les années 1920. Mais, avant-guerre, Rudolf Rocker fuit l’Allemagne pour retrouver le milieu juif et libertaire de Paris et de Londres. À Londres il organisa les juifs de l’East End, des ouvriers à domicile et des tisseurs. On retrouve Rocker en Allemagne après la Première Guerre mondiale [12].
La Fédération des anarchistes de l’Allemagne, AFD
(Rudolf Lange, Paul Frauböse)
Les militants anarchistes qui lisaient L’Autonomie dans les années 1880 émirent des réserves sur le fait de s’associer avec les jeunes socialistes. Ils les trouvaient trop marxistes. Ils essayèrent, aux débuts de Der Sozialist, de s’associer, mais ils trouvèrent Landauer trop dominant et trop intellectuel pour des ouvriers. Ils trouvèrent aussi son discours en faveur des coopératives trop réformiste. C’est pour cette raison qu‘ils quittèrent le Sozialist et fondèrent Neues Leben (Nouvelle Vie), puis Der freie Arbeiter (L’Ouvrier libre). Ils étaient anarchistes-communistes. En 1901, ils créèrent une organisation, Anarchistische Föderation Deutschlands, AFD (Fédération anarchiste allemande). Quarante groupes environ représentaient de 400 à 500 personnes. Mais il y eut des scissions : en 1903 les adhérents qui continuaient à publier Freiheit, de Most, fondèrent Anarchist (L’Anarchiste), dirigé par Rudolf Lange. Ce journal eut une vie brève. Paul Frauböse tenta de critiquer le groupe de Berlin qui dirigeait le journal Der freie Arbeiter et ne se préoccupait pas des aspirations des groupes des autres villes et des autres provinces. En 1905, Frauböse créa Der Revolutionär (Le Revolutionnaire), qui fut le véritable journal de la Fédération avec un tirage de 2 000 exemplaires.
Mais ce fut un échec et Frauböse changea de camp en s’affilliant à la Fédération socialiste de Landauer. Der freie Arbeiter sortit gagnant de la querelle des journaux, avec un tirage de 5 000 exemplaires environ à son apogée en 1910. Rudolf Lange s’occupait de l’organisation ; il prépara un statut avec des membres officiels, l‘autonomie des groupes et une commission de gestion, qui fut acceptée en 1910. Mais cela n‘entraîna pas un développement de l’organisation, et, malgré des conférences regionales, l‘AFD fut critiquée par Landauer et beaucoup d’autres comme étant bureaucratique, incapable de mener des actions et une tentative de créer un nouveau Parti anarchiste à l‘image du Parti social-démocrate. Ils ne furent pas capables de résister à la guerre mondiale et n’essayèrent pas de faire un front commun avec les anarcho-syndicalistes. Pendant la République de Weimar entre les deux guerres mondiales, l‘AFD se transforma en Föderation Kommunistischer Anarchisten Deutschlands (Fédération des anarchistes communistes d’Allemagne). Par rapport à l’organisation des anarcho-syndicalistes, elle n‘eut pas un grand développement (500 membres en 1923) et resta moins importante qu’avant-guerre [13].
Le cercle de Friedrichshagen, les naturalistes libertaires,
le cercle Weber et la naissance de l’anarchisme non violent
La naissance de l’anarchisme non violent en Allemagne est associée à la lecture des écrits sociaux et éthiques de Léon Tolstoï des années 1880 jusqu‘à la Première Guerre mondiale. On voit apparaître de nouveaux écrivains, les naturalistes comme Paul Ernst, les frères Heinrich et Julius Hart, Senna Hoy, Bruno Wille, Arno Holz, Gustav Landauer. Ils fondèrent à Berlin le Friedrichshagener Kreis (cercle de Friedrichshagen) en 1889 et le premier théâtre ouvrier, le Neue Freie Volksbühne (Nouveau Théâtre libre du peuple) en 1892. C’était un mélange de bohème anarchiste avec des artistes, des écrivains et des libertaires individualistes. Leur journal, Freie Bühne (Théâtre libre), interpréta les écrits de Tolstoï pour la première fois considéré comme anarchiste non violent. Les naturalistes libertaires étaient influencés par Hendrik Ibsen (drames), Émile Zola (romans) et Léon Tolstoï (romans et écrits sociaux et éthiques). Ils furent les adversaires de Michael Georg Conrad et des naturalistes nationalistes.
Dans la première décennie, il y eut beaucoup d’autres journaux libertaires, naturalistes et expressionnistes comme Der arme Teufel (Le Pauvre Diable) en 1902 et 1903 et Kain (à partir de 1911), créé par Erich Mühsam (1878-1934), Der freie Arbeiter (L’Ouvrier libre) de l‘AFD, Die Fackel (Le Flambeau) de Karl Kraus à Vienne, Die Aktion (L’Action) de Franz Pfemfert (dès 1911), Der Kampf (La Lutte) de Senna Hoy (1904-1905), Der Sozialist (Le Socialiste) de Gustav Landauer, Wohlstand für alle (Prospérité pour tous) de Pierre Ramus, de Vienne. Tous ces journaux ont fait des analyses des écrits de Tolstoï. Il y eut des tolstoïens allemands comme Moritz von Egidy ou Eugen Heinrich Schmitt. D‘autre part, c’était l’époque où l‘on passait ses vacances à Monte Verita, à Ascona, en Italie, dans une colonie végétarienne et alternative, où il y avait beaucoup d’anarchistes non violents.
À Heidelberg se trouvait le cercle du sociologue Max Weber qui n’était pas libertaire, mais qui discuta ses thèses avec des étudiants libertaires de Russie comme Isaak Steinberg, avec le sociologue syndicaliste Robert Michels, qui avait des liens avec Georges Sorel, avec le jeune Georg Lukács, ou même pendant la Première Guerre mondiale avec l’étudiant Ernst Toller (1893-1938). Weber établit une différence entre l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Il présenta Tolstoï comme modèle de l’éthique de conviction. Isaak Steinberg devint social-révolutionnaire gauchiste pendant la Révolution russe de 1917 ; il fut conseiller juridique dans la premier gouvernement des bolcheviks et des sociaux-révolutionnaires gauchiste jusqu’en janvier 1918. Il se réfugia à Berlin après le rétablissement de la peine de mort en Russie soviétique. Il y retrouva Emma Goldman, Rudolf Rocker et des anarchistes russes en exil. Ils publièrent des tracts et des livres condamnant la répression des anarchistes russes.
Isaak Steinberg rédigea l‘une des plus impressionnantes critiques libertaires de la révolution bolchevique, Gewalt und Terror in der Revolution (Violence et terreur dans la révolution), écrite en 1920-1923, publiée en 1931 à Berlin. Dans ce livre il présente la violence et la non-violence comme une aporie philosophique : avec la violence révolutionnaire on ne peut abolir le pouvoir, sans violence révolutionnaire on ne peut faire tomber le pouvoir établi effectivement. Ernst Toller était convaincu d’être anarchiste non violent avant la République des conseils de la Bavière en avril 1919. Il a été l‘un des commandants de l’Armée rouge de Bavière. Contrairement aux positions des communistes, il tenta de négocier une trêve dès qu’il s’aperçut que la bataille ne pouvait plus être gagnée. Pendant les années 1920 Toller écrivit de remarquables pièces de théâtre comme Hinkemann (L’Homme boiteux), qui ont été les drames les plus populaires de la République de Weimar et qui illustrent tous cette aporie philosophique entre non-violence et violence révolutionnaire [14].
L’expressionnisme de l’avant-guerre (Erich Mühsam),
le dadaïsme à Zurich et à Berlin
Erich Mühsam, le poète anarchiste antimilitariste, participa à la naissance de journaux expressionnistes tels que Die Aktion de Franz Pfemfert à Berlin et Simplicissimus à Munich. Dans cette ville, Mühsam faisait partie de la scène bohème expressionniste où l‘on trouvait Franz Jung, la poète Else Lasker-Schüler, l‘auteure dramatique Berta Lask et beaucoup d’autres artistes et écrivains. Mühsam était le poète le plus populaire dans le mouvement libertaire d‘après-guerre.
Mais l’expressionnisme, avec quelques protagonistes comme Richard Dehmel, s’engagea en faveur de la guerre mondiale. Comme le futurisme italien, l’art progressiste devint soudain nationaliste en souhaitant un bouleversement complet de la société décadente d’avant-guerre.
Ce fut le dadaïsme qui sauva l’art progressiste en critiquant toutes les formes de l’art d’avant-guerre. La naissance du dadaïsme eut lieu à Zurich, au Cabaret Voltaire, avec des exilés comme René Schickele, Tristan Tzara, Hugo Ball, Emmy Jennings, Richard Huelsenbeck et bien d’autres. On a dit que le dadaïsme avait été exporté de Zurich à Berlin avec le retour de Richard Huelsenbeck à Berlin début 1917. Mais en 1915 existait déjà le journal Freie Straße (Rue libre) de Franz Jung, Georg Schrimpf et Otto Groß qui chercha à créer des liens entre la psychanalyse progressiste et le mouvement libertaire. En 1916, naquit aussi Neue Jugend (Jeunesse nouvelle) avec Wieland Herzfelde, John Hartfield et le remarquable dessinateur George Grosz. En 1917, ils fondèrentg la maison d‘édition Malik. Après la guerre on vit l‘apparition de journaux comme Die Pleite (La Culbute), de soirées dada ainsi que l’exposition internationale dada en 1920. Les dadaïstes les plus populaires furent Raoul Hausmann, Hans Arp, Hanna Höch, Kurt Schwitters, Johannes Baader. Les frères Herzfelde-Heartfield et leur maison d’édition Malik se rapprochèrent du Parti communiste pendant la République de Weimar [15].
La révolution de 1918-1919
et la République des conseils de la Bavière, 7-30 avril 1919
Les grandes grèves du début de 1918, les mutineries, les désertions et les manifestations de masse pour la paix voulaient en finir avec le vieux système aristocratique en Allemagne et en Autriche-Hongrie. À Kiel, les marins mutinés durent tirer quelques coups de feu contre les officiers réactionnaires avant d’occuper la ville le 4 novembre 1918. À Munich, le socialiste indépendant Kurt Eisner (1867-1919), Erich Mühsam, Oskar Maria Graf et d’autres partirent de la Theresienwiese et firent le tour des garnisons. Tous les soldats fraternisaient et le régime du prince des Wittelsbacher tomba sans coups de feu ni effusion de sang le 7 novembre 1918 ; il se passa la même chose à Berlin le 9 novembre 1918 avec l‘empereur Guillaume II, dernier représentant des Hohenzollern. Mais il y eut des différences entre Munich et Berlin. Dans cette ville, les sociaux-démocrates orthodoxes, dits majoritaires, Ebert, Scheidemann et Noske, firent un front commun avec d‘anciens officiers de la Reichswehr comme le général Groener et les corps francs politiquement à droite. Ils s‘opposèrent au mouvement des conseils des « hommes de confiance » des grandes entreprises de Berlin, appelés Die revolutionären Obleute (« délégués révolutionnaires d’entreprises »). Plus tard en janvier 1919, les sociaux-démocrates écrasèrent l’insurrection spartakiste du nouveau Parti communiste allemand (avec les meurtres de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). À Munich, au contraire, le nouveau président bavarois, Kurt Eisner, essaya de concilier conseils révolutionnaires et système parlementaire. Ainsi se constitua une sorte de double pouvoir en Bavière [16].
Quand Eisner fut tué en février 1919 par l’extrême droite, la Bavière vécut une phase de radicalisation. Des nouvelles recherches montrent que le mouvement des conseils n’était pas confiné à Munich et dans les grandes villes de Bavière. C’était un mouvement vraiment bien implanté partout, même dans les campagnes et les villages, en particulier dans les semaines qui précédèrent la première République des conseils. On put voir des conseils de paysans, d‘ouvriers, de soldats et d‘intellectuels. On salua la nouvelle République des conseils de Bela Kun et Georg Lukács en Hongrie. Les sociaux-démocrates, majoritaires, acceptèrent d’abord de se siéger au conseil exécutif, fréquenté par des libertaires comme Gustav Landauer, Kurt Sontheimer, Erich Mühsam, Ret Marut, Ernst Toller. Mais ils s‘enfuirent ensuite pour installer un gouvernement contre-révolutionnaire à Bamberg et demander à Berlin l’aide des troupes de la Reichswehr.
Mühsam tenta de convaincre les nouveaux responsables communistes comme Eugene Leviné de participer au mouvement, mais ils refusèrent en se déclarant neutres envers une république d‘artistes et d‘écrivains. À la suite d’une grève générale à Augsburg, ville proche de Munich, la première République des conseils fut déclarée. Elle dura du 7 au 14 avril 1919 et fut dite anarchiste. Il n‘y eut pas d‘effusion de sang au début. Aucune force réactionnaire ne fut capable de s‘opposer à cette déclaration. Mais les sociaux-démocrates et la Reichswehr firent une tentative de coup d’État le dimanche 13 avril à la gare de Munich. Il fut mis en échec par des ouvriers armés spontanément et d’autres qui désarmèrent les soldats et les policiers de Munich qui essayaient d’aider les putschistes. À la suite de ces événements, Mühsam fut fait prisonnier (cela lui sauva probablement la vie). Le Parti communiste changea d’avis et se déclara prêt à organiser une armée. Il proclama une deuxième République des conseils, dite communiste.
Les militants anarchistes étaient partagés : Landauer ne soutint pas la deuxième République, tandis qu‘Ernst Toller devint le chef de l‘Armée rouge jusqu’à la dernière semaine. Il était favorable à des négociations alors que les communistes voulaient se battre jusqu‘au bout, désirant créer des martyrs du mouvement ouvrier. La répression des forces réactionnaires après leur victoire début mai fut extrêmement violente, et les massacres firent des milliers de morts. Gustav Landauer fut battu à mort. Mais Ret Marut, qui s’occupait de la presse révolutionnaire et qui fit publier une revue antiguerre pendant la guerre, Der Ziegelbrenner (Le Fondeur de briques), réussit à fuir jusqu’au Mexique. Là il prit le nom de B. Traven et écrivit de nombreux romans sur sa vie aventureuse et les Indiens du Mexique [17].
Les localistes et la naissance de la FAUD, 1919,
la grève générale de mars 1920 et l’Armée rouge de la Ruhr
1897 voit la fondation de la Freien Vereinigung deutscher Gewerkschaften (FVDG, Association libre des syndicats allemands). Jusqu’en 1904 et la propagande pour la grève générale de Raphael Friedeberg, cette opposition aux syndicats officiels sociaux-démocrates s’appelait Lokalisten (« localistes ») car elle revendiquait l’autonomie des syndicats locaux. Cette organisation comporta 20 000 membres avant-guerre et ce fut la seule organisation allemande qui s‘opposa à la guerre. Ce fut pour cette raison que son journal, Die Einheit (L’Unité), fut interdit. Les localistes participèrent aux mouvements de grève révolutionnaires du début de 1918 et de mars 1919. Leur présence fut importante chez les métallurgistes et les mineurs des régions industrielles de Rhénanie-Westphalie et de la Ruhr où ils étaient plus de 60 000 à la fin de 1919.
Avec le retour de Rudolf Rocker en Allemagne après la guerre est fondée la Freie Arbeiter Union Deutschlands (FAUD, Union libre des ouvriers allemands) les 27-30 décembre 1919. Les délégués représentaient 111 675 membres. En 1920-1921 la FAUD était à son apogée avec environ 150 000 militants répartis dans 450 groupes. Une commission de gestion fut élue à Berlin. Il y eut un journal quotidien puis hebdomadaire, Der Syndikalist (Le Syndicaliste) qui tira jusqu‘à 120 000 exemplaires. En 1921 fut fondé un journal régional dans la Ruhr, Die Schöpfung (La Création).
Le problème de l’anarcho-syndicalisme allemand par rapport à d’autres pays était le manque de culture libertaire. Une grande partie des militants ne voyait pas la différence entre les partis communistes et l‘anarchisme. C’est ainsi qu‘il y eut souvent des doubles appartenances, en particulier en Rhénanie et dans la Ruhr. Dès le début émergèrent des tendances proches du Parti communiste ou du Parti social-démocrate indépendant. Une tendance comme Gelsenkirchen voulait coopérer avec les unionistes (150 000 militants à cette époque) – il s‘agissait d‘un syndicat communiste opposé à la dictature du Parti communiste sur les syndicats. Leurs militants ont plus tard soutenu la fondation, par les communistes-gauchistes, du Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands (KAPD, Parti ouvrier communiste allemand) en avril 1920 [18].
Manquant de culture et de traditions libertaires, la FAUD n’était pas capable de propager une stratégie cohérente pour les luttes à venir. Quant à la résistance au coup d’État des monarchistes, fascistes et réactionnaires de Kapp-Lüttwitz les 12-17 mars 1920 à Berlin, la FAUD lança dès décembre 1918 un appel à participer à une grève générale. En mars 1920, la grève générale fut très suivie, même par les grands syndicats sociaux-démocrates qui la refusaient auparavant. Mais, contrairement aux syndicats de la FAUD de Berlin ou des syndicats libertaires des zones industrielles de Thuringe, les syndicats de la FAUD de Rhénanie et de la Ruhr voulaient prolonger la grève par l’insurrection armée. Entre 50 000 et 80 000 militants, dont la moitié étaient des anarcho-syndicalistes, créèrent la Rote Ruhr-Armee (l’« Armée rouge de la Ruhr »). L’insurrection armée fut écrasée début avril 1920 par la Wehrmacht et les corps francs réactionnaires, faisant des milliers de morts. Ce fut une catastrophe pour l’anarcho-syndicalisme allemand. Les effectifs descendirent à 25 000 membres en 1925 puis à 4 000 ou 5 000 en 1932. La FAUD perdit sa capacité à déclencher et à conduire des grèves de masse.
Après les événements, l‘un des grands débats parmi les militants de la FAUD fut l’utilisation des armes par les opprimés. Après la guerre, le courant des libertaires non violents était très fort. Il y eut une campagne pour la destruction des armes. Pendant une conférence réunissant des ouvriers des entreprises d‘armement en mars 1919 à Erfurt, Rudolf Rocker lança un appel « À bas les armes, a bas les marteaux ! ». Cet antimilitarisme ouvrier fut approuvé par 300 délégués. Le courant non violent dans les rangs de la FAUD critiqua la formation de l’Armée rouge de la Ruhr. Des militants comme Rudolf Rocker (pas tout à fait non violent, mais opposé à l’Armée de la Ruhr), Augustin Souchy, Pierre Ramus, Robert Buth, Fritz Oerter, Franz Barwich, Fritz Köster et bien d’autres revendiquèrent le fait de s‘emparer des armes de l’ennemi et de les détruire. Ils préconisaient la grève générale plutôt que la lutte armée.
Celle-ci était considérée comme un moyen de prendre le pouvoir (même communiste), celle-là avait pour but de le détruire. De nouvelles recherches sur l’Armée rouge de la Ruhr montrent que, pendant les quatre semaines de combats, il y eut un changement dans les postes de commandement. Les conseils et milices étaient au début partagés entre socialistes indépendants, communistes, communistes-gauchistes (dits unionistes) et anarcho-syndicalistes, mais à la fin du combat presque tous les postes de commandement étaient tenus par les communistes-gauchistes. Ils ne voulaient pas négocier une trêve pouvant sauver les militants et les organisations syndicales. Après la défaite, des milliers de militants, qui n‘avaient pas été tués, durent fuir. D‘autres changèrent d‘affiliation, soit pour le Parti communiste, soit pour les communistes-gauchistes. Les anarcho-syndicalistes surnommèrent les communistes-gauchistes « communistes de carabine » en les accusant de privilégier la stratégie de la lutte armée. Au congrès de la FAUD en 1921 à Düsseldorf, il fut décidé que la double appartenance n‘était plus possible. Des militants unionistes comme Franz Jung partirent pour le KAPD, puis la Russie soviétique, d‘autres comme Otto Rühle (1874-1943) devinrent de plus en plus proches des libertaires et écrivirent plus tard des thèses sur le communisme considéré comme fascisme rouge. L’Autrichien Pierre Ramus (1882-1942) était le plus radical des militants non violents, il était très populaire parmi les ouvriers allemands et surnommé « Dr. Unblutig » (« M. Non-Sanglant »). Il publia à Vienne le journal Erkenntnis und Befreiung (Connaissance et libération) de tendance anarchiste non violente. Fuyant les nazis, il mourut dans un navire en route pour le Mexique en 1942 [19].
La Fédération syndicaliste des femmes,
la Schaffende Frau ; Milly Witkop-Rocker, Helene Stöcker
La FAUD des années 1920 fut le seul mouvement libertaire de masse de l’histoire allemande. Ce n’était pas seulement un syndicat, mais aussi un mouvement culturel avec des groupes de chanteurs et chanteuses, des projets de colonies communautaires, des groupes d’enfants, une organisation, Syndikalistisch-Anarchistische Jugend Deutschland (Jeunesse syndicaliste-anarchiste allemande), qui compta jusqu‘à 3 000 membres (influencée fortement par Ernst Friedrich, qui s’occupa d’un Musée contre la guerre à Berlin), un service de réédition et de distribution de livres, la Gilde freiheitlicher Bücherfreunde (Guilde libre des amis du livre) et bien d’autres [20].
Une organisation significative de la FAUD fut le Syndikalistischer Frauenbund (Fédération des femmes syndicalistes) qui eut jusqu‘à 1 000 membres dans 20 groupes, la plupart femmes de ménage et mères de famille, mais aussi quelques ouvrières. C’est Milly Witkop-Rocker qui fonda cette organisation. Elle avait été influencée par les drames féministes de Henrik Ibsen et elle lutta contre l’image de la femme comme « pondeuse d‘enfants ».
Les femmes eurent souvent du mal à propager leurs revendications dans les rangs de la FAUD. Milly Witkop-Rocker considéra l‘obtention du droit de vote pour les femmes comme un détournement de la lutte pour les droits essentiels. Les principales militantes ont été Martha Steinitz, Franziska Krische, Aimée Köster, rarement soutenues par des hommes comme Gerhard Wehle et Fritz Oerter.
Les revendications pour la contraception furent influencées par le mouvement des femmes, avec Helene Stöcker proche des libertaires. De nombreux anarcho-syndicalistes furent membres de la Reichsverband für Geburtenregelung und Sexualhygiene (Association impériale pour la limitation des naissances et l’hygiène sexuelle) du docteur Magnus Hirschfeld. Cette organisation défendit aussi les homosexuels contre des persécutions d’État. Aimée Köster dirigea le journal Die Schaffende Frau (La Femme ouvrière) entre 1919 et 1925. Köster préconisa la grève des naissances comme moyen d’empêcher les guerres [21].
L’Association internationale des travailleurst (AIT), 1922 ;
L‘Internationale des résistants à la guerre (IRG), 1921 ;
Clara Meijer-Wichmann
et la Commission internationale antimilitariste (IAK)
À Moscou, Lénine imposa la dictature du Parti communiste sur les syndicats internationaux. Entre le 25 décembre 1922 et le 2 janvier 1923, la FAUD organisa un congrès à Berlin qui fondait l‘Internationale Arbeiter-Assoziation (IAA ou AIT, Association internationale des travailleurs) pour maintenir l’indépendance des syndicats. Étaient présents les délégués de 16 organisations représentant 11 pays et quelque 2 millions de membres. Les secrétaires internationaux Augustin Souchy, Rudolf Rocker et Alexandre Shapiro furent élus lors de ce congrès. Ils publièrent ensuite le journal Die Internationale (L’Internationale).
En 1921, à Bilthoven, aux Pays-Bas, fut fondée la War Resisters International (Internationale des résistants à la guerre), une internationale antimilitariste. Pierre Ramus fit une intervention pendant le congrès critiquant l’Armée rouge en Russie et proposant la défense sociale de la révolution. L‘une des fondatrices de l’IRG fut Clara Meijer-Wichmann (1885-1922), née à Hambourg, émigrée aux Pays-Bas où elle épousa Johann Meijer, premier sécretaire de l’IRG. Elle était féministe et critiqua le droit pénal d‘un point de vue libertaire. Avec Henriette Roland-Holst, Bart De Ligt et d’autres militants elle créa le mouvement antimilitariste libertaire hollandais. Elle exposa une philosophie de l‘histoire selon laquelle on peut mesurer le degré d‘évolution d’une société en évaluant la situation d’égalité des femmes dans cette société et la capacité de cette société à résoudre les conflits sociaux par la non-violence. Pour améliorer les liens entre les deux internationales fut fondée l‘Internationale Antimilitaristische Kommission (IAK, Commission internationale antimilitariste) avec les Néerlandais Arthur Müller-Lehning et Albert De Jong.
En Allemagne était même apparue une section officielle de l‘International Workers of the World (IWW, Ouvriers industriels du monde) dans un syndicat de marins. George Williams en était le délégué invité au congrès de la FAUD en 1921 à Düsseldorf [22].
La résistance contre les nazis,
la DAS pendant la Révolution espagnole 1936-1939
La situation de la FAUD était paradoxale. La menace national-socialiste fut perçue très tôt. Le coup d’État nazi de Kapp en 1920 fut empêché par le déclenchement de la grève générale. Mais après les débats autour de l’Armée rouge de la Ruhr, la FAUD avait perdu la capacité de conduire des grèves de masse. La FAUD n‘avait plus que 4 000 membres au début des années 1930. Pour une grève générale, il fallut demander la constitution d‘un front commun aux partis social-démocrate et communiste. Cette alliance n‘ayant pas abouti, les libertaires combattirent les nazis de manière violente avec les Schwarze Scharen (« Foules noires »), une milice d‘environ 500 membres. Elle affronta les nazis dans les rues jusqu’en 1933, date à laquelle ceux-ci prirent le pouvoir. La FAUD transféra clandestinement sa commission de gestion de Berlin à Leipzig. Les groupes anarcho-syndicalistes organisèrent des rencontres régionales, un réseau de résistance comprenant environ 600 militants. Ils essayèrent de fabriquer des journaux clandestins, dont l’exemple le plus efficace fut Die soziale Revolution (La Révolution sociale) entre 1933 et 1935 avec huit numéros et environ 200 exemplaires qui, après lecture, étaient rassemblés pour être diffusés dans un autre lieu. Les anarcho-syndicalistes en exil fondèrent en 1933-1934 le groupe Deutsche Anarcho-syndikalisten (DAS, Anarcho-syndicalistes allemands) avec un bureau à Amsterdam. En 1936, beaucoup de militants partirent en Espagne pour participer à la révolution. Le bureau de Barcelone comprenait une vingtaine d‘entre eux tels Helmut Rüdiger, Augustin Souchy, mais aussi des intellectuels allemands comme le critique littéraire Carl Einstein, qui participa à la colonne Durruti et rendit hommage à Durruti sur sa tombe après sa mort. Les nazis, prenant connaissance des activités de la DAS, procédèrent en 1937 à des rafles en Allemagne et purent détruire le réseau de résistants anarcho-syndicalistes [23].
1 Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, 1844, Stuttgart 1972. Notice sur Max Stirner dans Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf, 1993.
2 John Henry Mackay, Die Anarchisten, 1891, Leipzig, 1992. Notice sur John Henry Mackay dans Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf, 1993.
3 Wilhelm Marr est devenu plus tard l‘un des premiers intellectuels antisémites, Wagner aussi ; Bernd Kramer, « Laßt uns die Schwerter ziehen, damit die Kette bricht... », Michael Bakunin, Richard Wagner und andere während der Dresdner Mai-Revolution, 1849, Berlin, 1999.
4 Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin, 2000, S. 148.
5 Bernd Drücke, Zwischen Schreibtisch und Straßenschlacht ? Anarchismus und libertäre Presse in Ost- und Westdeutschland, Münster, 1998, S. 78f. ; Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 150 ; Ulrich Linse, Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin, 1969, S. 120-128.
6 Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin, 2000, S. 150ff.
7 Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin 2000, S. 152 ; Ulrich Linse, Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin, 1969, S. 128-154.
8 Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin, 2000, S. 149, 153 ; Wolfgang Bock, « Terrorismus und politischer Anarchismus im Kaiserreich », in Hans Diefenbacher (ed.), Anarchismus. Zur Geschichte und Idee der herrschaftsfreien Gesellschaft, Darmstadt, 1996, S. 143-168.
9 Josef Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der revolutionären Arbeiterbewegung, 1913, Frankfurt, 2002 ; Rudolf Rocker, Johann Most. Das Leben eines Rebellen, Berlin, 1924.
10 Horst Karasek (ed.), 1886, Haymarket. Die deutschen Anarchisten von Chicago, Berlin 1975 ; Heinrich Nuhn, August Spies. Ein hessischer Sozialrevolutionär in Amerika, Kassel, 1992.
11 Ulrich Linse, Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin, 1969, S. 275-301 ; Gustav Landauer, Aufruf zum Sozialismus, 1911, Wetzlar, 1978 ; Gustav Landauer, Revolution, 1907, Berlin, 1974 ; Was ist eigentlich Anarchie ?, Berlin, 2000, S. 153f. ; notice sur Gustav Landauer dans Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf, 1993.
12 Peter Wienand, Der geborene Rebell. Rudolf Rocker, Leben und Werk, Berlin 1981 ; Rudolf Rocker, Aus den Memoiren eines deutschen Anarchisten, Frankfurt, 1974 ; Rudolf Rocker, Max Nettlau. Leben und Werk des Historikers vergessener sozialer Bewegungen, Berlin, 1978. Notice sur Rudolf Rocker dans Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf, 1993.
13 Ulrich Linse, Organisierter Anarchismus im Deutschen Kaiserreich von 1871, Berlin, 1969.
14 Wolfgang Sandfuchs, Dichter – Moralist – Anarchist. Die deutsche Tolstojkritik 1880-1900, Stuttgart, 1995 ; Edith Hanke, Prophet des Unmodernen. Léo N. Tolstoï als Kulturkritiker in der deutschen Diskussion der Jahrhundertwende, Tübingen, 1993 ; Richard Dove, Ernst Toller. Ein Leben in Deutschland, Göttingen, 1993 ; Isaak Steinberg, Gewalt und Terror in der Revolution, 1931, Berlin, 1981, 2. Aufl.
15 Hermann Korte, Die Dadaisten, Reinbek, 1994 ; Ulrich Faure, Im Knotenpunkt des Weltverkehrs. Herzfelde, Heartfield, Grosz und der Malik-Verlag 1916-1947, Berlin, 1992 ; Kurt Pinthus (ed.), Menschheitsdämmerung. Ein Dokument des Expressionismus, 1920, Reinbek, 1955 ; Erich Mühsam, Tagebücher 1910-1924, München, 1994.
16 Jean-Paul Musigny, La Révolution mise à mort par ses célébrateurs même, Paris, 2001 ; Bernhard Grau, Kurt Eisner 1867-1919. Eine Biographie, München, 2001.
17 Michael Seligmann, Aufstand der Räte, Grafenau, 1989, deux tomes ; B. Traven/Ret Marut, Der Ziegelbrenner, Nachdruck, Zürich, 1976.
18 Hartmut Rübner, Freiheit und Brot. Die Freie Arbeiter-Union Deutschlands. Eine Studie zur Geschichte des Anarcho-syndikalismus, Berlin/Köln, 1994 ; U. Klan, D. Nelles, « Es lebt noch eine Flamme. » Rheinische Anarcho-Syndikalisten/-innen in der Weimarer Republik und im Faschismus, Grafenau, 1989 ; Angela Vogel, Der deutsche Anarcho-Syndikalismus. Genese und Theorie einer vergessenen Bewegung, Berlin, 1977 ; Hans Manfred Bock, Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918-23. Ein Beitrag zur Sozial-und Ideengeschichte der frühen Weimarer Republik, Darmstadt, 1993.
19 Sur les débats concernant l’Armée rouge de la Ruhr, voir « Le coup d’État de Kapp et la grève générale. Débats sur l’anarchisme et la non-violence dans l’Allemagne des années 20 », Réfractions n° 5, printemps 2000, « Violence, contre-violence, non-violence anarchistes », p. 65-76. ; U. Klan, D. Nelles, « Es lebt noch eine Flamme. » Rheinische Anarcho-Syndikalisten/-innen in der Weimarer Republik und im Faschismus, Grafenau, 1989 ; Ilse Schepperle, Pierre Ramus. Marxismuskritik und Sozialismuskonzeption, München, 1988.
20 Notice sur la FAUD dans Lexikon der Anarchie, ed. Hans Jürgen Degen, Bösdorf, 1993.
21 Jenny d’Héricourt, « Zur Syndikalistischen Frauenbewegung 1918-1933 », dans Wege des Ungehorsams. Jahrbuch für gewaltfreie & libertäre Aktion, Politik und Kultur I, Kassel, 1984, S. 175-182.
22 Hartmut Rübner, Freiheit und Brot. Die Freie Arbeiter-Union Deutschlands. Eine Studie zur Geschichte des Anarcho-syndikalismus, Berlin/Köln, 1994, S. 114-123.
23 Patrick von zur Mühlen, Spanien war ihre Hoffnung. Die deutsche Linke im Spanischen Bürgerkrieg 1936 bis 1939, Bonn, 1985 ; Andreas G. Graf (ed.), Anarchisten gegen Hitler. Anarchisten, Anarcho-Syndikalisten, Rätekommunisten in Widerstand und Exil, Berlin, 2001 ; Rudolf Berner, Die unsichtbare Front. Bericht über die illegale Arbeit in Deutschland (1937), Berlin/Köln, 1997.