Extrait de "Les origines du gauchisme" de Richard Gombin

Ce texte est extrait de l’ouvrage écrit par Richard Gombin
"Les origines du Gauchisme"et publié par le Seuil
dans sa collection "Politique" en 1971.
Il est évident que je me suis autorisé moi-même
à faire cet emprunt vu l’absence d’informations
dont je dispose par ailleurs à propos d’I.C.O.
Celles que je possédais s’étant égarées
au cours d’un déménagement. P.S.

Le groupe « Informations correspondance ouvrières (I.C.O.) est issu d’une scission de Socialisme ou Barbarie. Les « minoritaires » s’opposaient à la fois aux thèses organisationnelles très « léninistes » des majoritaires et à l’organisation interne du groupe qu’ils voulaient souple. En octobre 1958, la scission est consommée et les minoritaires forment le groupe « Infor­mations liaison ouvrières » qui changera son nom en "Informations Correspondance Ouvrières" en juin 1960.

A l’origine, deux formations parallèles existaient : un groupe de discussion et un groupe " inter‑entreprises ". A partir de 1962 seul ce dernier demeure, les tâches liaison et d’information ayant paru plus importantes certains militants que les tentatives de théorisation.

Le refus de toute réflexion « prospective » tient à une interprétation très littérale du mot d’ordre : "l’émancipation des travailleurs viendra des travailleurs eux-mêmes" et à une conception particulière de la lutte de classe.

Pour le groupe I.C.O. le résultat inéluctable de la lutte de classe ce sera la gestion des entreprises de la société par les travailleurs. Il appartient donc à ceux‑ci et à eux seuls de défendre leurs intérêts et se battre pour leur émancipation" :’. Ce sont leurs faits et gestes, leurs victoires et leurs défaites qui font la lutte de classe.

Celle-ci est en quelque sorte la geste ouvrière que toute intrusion extérieure ne peut que détourner du but. Dans le passé, la classe ouvrière avait combattu pour un certain nombre de revendications destinées à satisfaire les besoins économiques des tra­vailleurs et à leur assurer un minimum de bien‑être et de sécurité. Il s’agissait donc d’une lutte "vitale" qui avait abouti à des conquêtes sociales qui, aujourd’hui, sont devenues des institutions. Les transformations du monde moderne, l’accroissement des connaissances et du bien‑être rendent la plupart des conceptions héritées du passé caduques. Ce sont des nouvelles conceptions qui déterminent le comportement des travailleurs : celui‑ci résulte des transformations du capitalisme moderne, de la division fondamentale entre dirigeants et exécutants, de l’aliénation dans la consommation . La lutte aujourd’hui prend des nou­velles formes et vise à des nouvelles fins. La nouvelle contestation remet en cause le travail salarié lui‑même, la hiérarchie, l’autorité. Ainsi, pour les militants d’I.C.O. c’est le processus de luttes qui fait évoluer les mentalités ouvrières qui sont elles‑mêmes liées aux structures de l’entreprise capitaliste. Le comportement des travail­leurs est en quelque sorte "stimulé"par son environ­nement économique social et il y répond par une série d’affrontements (grèves sauvages. revendications non hiérarchisées) qui à leur tour, provoquent d’autres réactions et d’autres évolutions. Dans ce cheminement dialectique de la lutte, les travailleurs sont pris entre leur propre expérience de la production, des structure sociales et leur conscience qui se développe au fur et à mesure des transformations de la société capitaliste.

Ils sont donc obligés de lutter aussi contre les parti,syndicats et groupuscules qui entravent leur chemin. Ils mènent la lutte seuls et ils la mènent sur le terrain de l’entreprise. Les structures sociales et culturelle résulteront de la suppression du régime d’exploitation, et les aliénations qui accablent le travailleur dans sa vie quotidienne ne peuvent faire l’objet d’une lutte séparée.

Cette conception de la lutte de classe débouche sur une critique des organisations ouvrières qui en découle logiquement. Les partis sont censés fonctionner selon des critères et pour des objectifs étrangers à Ia lutte de classe. Quant aux syndicats, ils sont un organisme d’administration et non de lutte. "Dispensateurs d’avantages », ils sont traités comme tels par les travailleurs Ils n’ont donc pas pu "dégénérer" puisqu’ils n’ont jamais rempli d’autres fonctions que celle de conservation sociale. Le principal, pour I.C.O., est que les travailleur soient conscients de la nature réelle des syndicats qu’ils ne les prennent pas pour ce qu’ils ne sont pas. A partir de cette assertion on étend le raisonnement à toute organisation ouvrière qui veut "jouer un rôle dans la lutte". Cette ambition paraît absurde car les conceptions des travailleurs ne peuvent être formée­s arbitrairement par la propagande des syndicats, partis, ou autres organisations. Elles sont le produit "naturel" de la forme actuelle de la lutte de classe et c’est en fonction d’elles que les travailleurs projettent dans l’avenir la forme de leurs organisations de lutte.

Dans ces conditions, il n’y a pas de place pour une orga­nisation révolutionnaire permanente. De telles organi­sations s’adaptent inévitablement à la société capitaliste ambiante. La lutte se déroule tous les jours sous une multitude de formes : à la limite elle se confond avec vie quotidienne du travailleur dans son entreprise.

La formation de comités autonomes de luttes signifierait que la révolution a déjà commencé. Faire de l’agitation pour la création de ces comités revient à conseiller

aux travailleurs de faire la révolution.

Les conceptions spontanéistes d’I.C.O. semblent déboucher sur le "vide organisationnel" et on leur fait grief de provoquer la "non‑organisation et le désenchantement" Cependant, tout militantisme est pas exclu et l’existence même du groupe en porte témoignage. II est conçu à titre individuel pour aider travailleurs "à faire ce qu’ils veulent faire" et à empêcher, dans l’entreprise, que rien ne soit organisé sans leur accord. Il faut donc que le militant agisse dans le sens de l’autodétermination des travailleurs. Toute autre forme de militantisme débouche ‑sur du pur activisme identique à celui des organisations traditionnelles. Vouloir "jouer un rôle" conduit à devenir un agent de transformation de la société actuelle, non de sa libération, quelle que soit l’intention "subjective" qui préside à ce projet . Autrement dit, le militantisme ne doit pas consister à faire partager certaines idées qu’on croit "vraies" ou "bonnes " mais à agir pour que les travailleurs "comprennent où est leur intérêt de travailleurs". Le militant doit lutter en tant que travailleur et non en tant que membre d’une organisation, fût‑elle d’entreprise. Les groupes d’entreprise ne peuvent exister que dans des périodes de luttes limitées et doivent être constitués par les travailleurs eux‑mêmes, de l’intérieur. En dehors de l’entreprise la seule forme d’organisation concevable est la coordination horizontale destinée à faciliter les liaisons entre travailleurs isolés, à publier des informa­tions de "boites". Dans un tel groupe (qu’I.C.O. incarne, par exemple), les participants informent de ce qui se passe sur leurs lieux de travail respectifs, "dénoncent les manoeuvres syndicales", discutent de leurs revendications communes, s’apportent une aide réciproque.

La lutte de classe telle que la pense I.C.O. doit boucher sur l’autogestion de la société. Peut‑on prévoir ses formes exactes ? Certes, I.C.O. se rattache au mouvement historique des conseils dans la mesure même où il propage des textes historiques, les discute essaye de les réactualiser. Il est arrivé aussi à certains de ses membres de soutenir que la lutte pro­létarienne débouchera obligatoirement sur la forme conseils qui sera son expression privilégiée. Mais il semble bien que le groupe refusant d’ "anticiper sur une société d’avenir" ne veuille pas se prononcer sur les formes de la révolution et de la société future et donc de faire de la propagande en faveur du communisme de conseils. Ce qui le distingue d’un autre groupe par ailleurs fort proche de lui, et qui considère les formes historiques du mouvement de conseils comme celles de révolution à venir. Alors que pour I.C.O. le mouvement de conseils fut une des formes historiques que l’autonomie des luttes a revêtues, le groupe "Communisme de conseils" se rattache, au contraire, à ce mouvement, en tant que celui‑ci figure le communisme. Il vise donc à "accorder" la théorie à la pratique en analysant les événements récents à la lumière de la théorie conseillistes telle qu’elle a été transmise par O. Rühle, H. Gorter A. Pannekoek et d’autres. Le communisme de conseil serait donc plus qu’une leçon de l’histoire : il serait la théorie qu’il s’agit à la fois de propager et d’enrichir.

Ainsi, la théorie du communisme de conseils est loin d’être homogène. Nous avons vu les principales conceptions qui la sous‑tendent : depuis les thèses de Socialisme, ou Barbarie qui se situent à la limite entre conseil et Parti, jusqu’à I.C.O. qui arrive à dissoudre cette théorie elle‑même dans la spontanéité des luttes et conceptions qui en naissent. Les sources mêmes du communisme de conseils (un marxisme diversement interprété) influent de façons différentes sur les héritiers du mouvement historique. Certains se dégagent la tradition, d’autres moins. Certains acceptent et font leur la critique de la vie quotidienne, d’autres, comme I.C.O., la jugent secondaire par rapport à la critique du système d’exploitation économique. Mais tous les courants mentionnés se retrouvent pour condamner le mouvement marxiste‑léniniste. Tous aussi se font une certaine idée de l’autonomie nécessaire de la lutte ,ouvrière et de sa spontanéité. Bien qu’avec des nuances, ils ont transposé leurs conceptions sur le terrain de l’organisation à la fois du mouvement révolutionnaire de la société socialiste.