Les coopérations et coopératives

A- Les principes et leur application

Le mouvement coopératif actuel est né, dans sa forme présente, des réalisations des Equitables Pionniers de Rochdale. Ceux-ci fixèrent un certain nombre de règles qui ont, avec les années, pris figure de "principes de la coopération",

- Adhésion libre, ou principe de la porte ouverte. Quiconque peut souscrire une action, "Le principe de la porte ouverte est le signe visible du principe d’altruisme qui est la règle et la raison d’être de nos coopératives" nous dit B.LAVERGNE dans son livre "La Révolution Coopérative".

- Contrôle démocratique, principe d’une personne, une voix Contrairement aux sociétés capitalistes par actions, les coopératives appliquent ce principe qui se veut profondément démocratique. Cette règle fait dire couramment que le pouvoir est aux coopérateurs par le biais des A.G. Nous verrons plus loin que cette règle n’est qu’une illusion-fantôme et que cet idéal démocratique se réduit à un simple formalisme.

- Distribution aux membres de l’excédent au prorata de leurs transactions ou plus simplement : règle de la ristourne des bénéfices. C’est l’originalité de la formule coopérative. Les Pionniers de Rochdale l’ont officialisée depuis 1844. Dans le concret, cette règle peut s’appliquer de maintes façons : timbres, cartes d’achat ou ristourne.., suivant le type de coopérative. Cette ristourne réajuste "les prix provisoires" payés par le consommateur lors de ses achats. Le calcul de cette ristourne à une grande échelle demande un travail considérable. Comme dans toute société elle se calcule sur le bénéfice net après toutes les déductions. (Importance des réserves légales sur lesquelles nous reviendrons).
NOTE : ce principe vient d’être fortement reconsidéré lors du dernier congrès de la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation qui pense que si la coopération veut rester compétitive face au commerce capitaliste, elle doit augmenter ses investissements (supermarché, concentration, informatique, publicité...) et pour cela réduire au maximum la ristourne sinon la supprimer...

- Intérêt limité sur le capital. Ce taux d’intérêt peut varier sans jamais excéder le taux légal de 6 %. Mais beaucoup de coopératives en A. G, décident soit de réduire ce taux (4%)
soit d’augmenter les réserves du montant des dividendes, soit de l’affecter à des œuvres sociales.

Autres règles secondaires : neutralité politique et religieuse, vente au comptant et développement de l’éducation du consommateur.

Dans la pratique, les coopératives sont des S. A. dont le capital social (gage des créanciers et garantie de leur sécurité en cas de mauvaises affaires) est constitué par des actions
au nombre variable. L’action est de 60 francs (en France) dont 1/4 est exigible au premier versement. Chaque adhérent doit nécessairement souscrire au moins une action qui 1ui donnera droit de bénéficier de la ristourne de fin d’exercice :. L’action coopérative cumule à la fois les inconvénients de l’obligation : un revenu fixe et limité (voir le taux d’intérêt), et. ceux de l’action classique : gage face aux créanciers. De telles actions ne sont pas revendables à un tiers, mais remboursables ; les coopératives, se réservant dans leurs statuts, des limites et des délais de remboursement. Aucune plus-value sur ces actions n’est possible ainsi qu’aucune cotation en Bourse.

Une autre originalité des coopératives est l’application de la "règle de dévolution désintéressée" appliquée aux réserves de la société, En général, dans les sociétés capitalistes (et même dans certains pays pour les coopératives) les réserves légales" sont "individualisées", c’est-à-dire qu’en cas de dissolution, ces réserves correspondent algébriquement à une partie des transactions opérées pour l’actionnaire et chacun peut donc toucher son dut. Dans beaucoup de coopératives, depuis Buchez et Raiffeisen (cf. Annexe) les réserves sont collectives et indivisibles diminuant ainsi l’aspect capitaliste des coopératives. Donc en cas de dissolution, les réserves et les surplus de 1a liquidation seront distribués à des œuvres sociales et aux organisations coopératives,

Si pour une S. A, il faut 10 millions d’anciens francs de capital initial. et 50 pour être cotée en Bourse, pour une S. A, coopérative, il suffit d’un million d’anciens francs.

La différence entre une société capitaliste et une coopérative a été longuement analysée par le Dr. Fauquet dans son "Secteur coopératif". Il a, au moyen d’un exemple chiffré, démontré
la différence entre une "gestion de service" et une "gestion de rapport". Nous reproduisons ici sa démonstration qui, bien que très schématique, se veut convaincante.

"Quelle pourra être l’attitude de chacune des deux directions vis-à-vis d’un projet de dépenses (par exemple un projet de publicité) dont on peut escompter une augmentation du chiffre d’affaires .

Pour permettre des applications numériques, nous supposerons que le capital de l’entreprise capitaliste, quel que soit son montant, est divisé en 8000 actions à droits égaux et nous figurerons comme suit les résultats du compte d’exploitation du. dernier exercice des deux entreprises.

Chiffre d’affaires : 8 millions.
Bénéfice global brut.................... M= 1 200 000
Frais fixes .......... ........................ F= 400 000
Bénéfices global brut.................. B= 800 000

Ristourne coopérative : 10 francs par 100 francs d’achats.
Dividende capitaliste : 100 francs par action.

Calculons maintenant quels seront les résultats d’une dépense de publicité de 200 000 francs ; si cette dépense permet de faire passer le chiffre d’affaires de 8 à 10 millions, tous autres frais, le prix d’achat et de vente restant les mêmes.

Chiffre d’affaires : 10 millions.
Bénéfice global brut.,.................. M= 1 500 000
Frais fixes ................. ........... …. F= 400 000
Dépenses de publicité................... = 200 000
Bénéfice global net............... …..B= 900 000

Ristourne coopérative : 9francs par 100 francs d’achats.
Dividende capitaliste : 112, 50 francs par action.

Mêmes dépenses de publicité, même augmentation du chiffre d’affaires et cependant des résultats inverses : pour les capitalistes, dividende plus élevé, pour les coopérateurs, ristourne plus faible.
Le champ d’application des principes coopératifs est très vaste : de 1a petite coopérative de consommation à la régie coopérative. I1 serait trop long de les énumérer toutes et de les analyser. Pour plus de détails se reporter à la bibliographie.

B- La coopération : Sa théorie.

La coopération a formulé sa propre théorie qu’elle couronne du titre de socialisme, voire même de "révolution coopérative".

Point de départ, le capitalisme.

Le capitalisme "établit une séparation déplorable entre la propriété des moyens de production et 1a personne des travailleurs ou celle des usagers". I1 est, d’après Lavergne, "le fruit spontané de l’égoïsme humain". Pour l’auteur de la Révolution Coopérative, le capitalisme a trop bon dos. Pour lui, "la vérité est que bon nombre d’enrichissements sans mesure ont de tous temps existé dans toutes les sociétés humaines et n’ont à aucun degré eu le régime capitaliste pour cause. Seul le caractère défectueux de la nature humaine, la violence, voire la bassesse des passions humaines expliquent qu’intermédiaires marrons, cinéastes, chanteuses de cabaret en vogue puissent mener si grand train de vie alors que les savants qui font les découvertes les plus précieuses pour vaincre les maladies humaines doivent se contenter de modestes traitements. Quelque tort qu’ait par ailleurs l’ordre capitaliste, de grandes injustices dans la répartition ont aussi souvent pour cause les faiblesses de la nature humaine dans le régime économique actuel. Ainsi les foules qui, par leurs engouements, sont cause des cachets donnés aux acteurs réputés, feraient mieux souvent de s’accuser elles mêmes plutôt que croire béatement que l’injustice dans la répartition a pour seule origine le capitalisme". Cette injustice "est de tous temps. Et quoi qu’on fasse, elle ne saurait disparaitre entièrement car plus d’un instinct de la nature humaine s’y oppose radicalement".

Voilà, donc, le grand mal de notre société : l’imperfectibilité humaine. Cette analyse (oh combien objective) du capitalisme sert de base à la théorie économique de la doctrine coopérative.

Du producteur au consommateur.

Toute socialisation passe par une reprise en main du processus de production (machine + énergie + travail humain + information - produit) par les producteurs eux-mêmes : l’usine aux ouvriers ...(Ne pas voir ici une adhésion à l’usinisme).

La théorie coopérative renverse le problème. "Ce n’est pas en qualité d’agents de la production que la plupart des hommes sont à l’heure actuelle exploités, c’est en tant que consommateurs qu’ils sont rançonnés". "Tout être humain, étant consommateur a, en tant que tel, le droit théorique de participer à la gestion directe ou indirecte des moyens de production nécessaires à la fabrication des objets qu’il consomme, il convient donc qu’il acquière progressivement le contrôle et la propriété de ces biens dans la mesure où il paie l’usage de leur service". "Le concept coopératif.., est la projection, sur le plan de l’économie concrète, de l’idée plus vaste de prima uté du consommateur..." Pour Lavergne "l’apparition du socialisme coopératif basé fondamentalement sur la consommateur et non plus sur l’homme envisagé sous son seul aspect de producteur, amène le bouleversement profond de toutes doctrines socialistes".

Ce qui fait de la coopération une forme de socialisme d’après le Dr. Fauquet, c’est le fait "qu’elle place l’origine et l’exercice du pouvoir là même où naissent les besoins. L’homme y reste maître de lui-même : l’organisation est à son service".

La doctrine coopérative propose donc la "coopératisation" des entreprises privées et nationalisées, ainsi "toute plus-value et toute spéculation seraient abolies". Ce passage (transition) n’est pas une coupure brutale mais un glissement en douceur. "Le socialisme coopératif maintient intact les mécanismes économiques et monétaires de l’ordre capitaliste, ce qui n’empêche pas le nouveau régime de modifier fondamentalement la répartition du revenu national. De tous les systèmes socialistes, le socialisme coopératif est le seul qui conserve le mécanisme du marché, la liberté de fixation des prix par offres et demandes".

Vers une socialisation du profit.

La généralisation de’la "coopératisation" amènerait "une socialisation du profit". En effet, le système de la ristourne et 1a gestion démocratique (?) des coopératives pallieraient les insuffisances du capitalisme. En cela, la coopérative se montre digne héritière de Proudhon : "1e problème difficile qui se pose, c’est non de détruire les forces économiques existantes, mais de les équilibrer. I1 ne s’agit pas de supprimer ces véritables forces économiques qui sont la division du travail, la force collective, la concurrence, le crédit, la propriété et même la liberté, mais au contraire de les conserver tout en les empêchant de nuire".

De même il ne s’agit pas de supprimer le capital mais de lui redonner son rôle véritable, celui "d’instrument au service du travail et payé en tant qu’instrument". Pour Charles Gide, le consommateur sera le propriétaire et le capital "sera réduit au rôle de simple salarié".

La coopération : une démocratie économique.

Par sa conquête de la production et par son "expropriation de 1’Etat" la coopération prend figure de seule démocratie économique possible. Elle permet de respecter à la fois les libertés individuelles et l’intérêt général, et comme l’affirme Lavergne "l’idée coopérative réussit -à faire coïncider l’intérêt privé de chacun et l’intérêt de tous... Le difficile, l’admirable, c’est de construire un monde honorable avec des éléments médiocres. Le surprenant, c’est de fonder, comme 1e fait la coopération, sur la basé des cupidités humaines un ordre altruiste et juste".

La coopération comme révolution sans violence et sans douleur.

Charles Gide propose "un programme en trois étapes" qu’il a formulé dès 1889.
"I1 faut, déclarait-il, faire un plan de campagne -ou plut8t il-n’y a pas à le faire, il est tout fait. Il comprend trois étapes successives .

-  1) Grouper entre elles lés sociétés, prélever sur leurs bénéfices la plus grosse part possible pour fonder de grands magasins de gros et opérer les achats sur une grande échelle, voilà la première étape.

-  2) Avec les capitaux ainsi constitués, se mettre à l’œuvre pour produire directement tout ce qui est nécessaire aux besoins des sociétaires, en créant boulangeries, meuneries, manufactures de draps et vêtements confectionnés, fabriques dé chaussures, de chapeaux, de savon, de papier, voilà sa seconde étape.
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Ou pour tout résumer : dans une première étape victorieuse faire la conquête de l’industrie commerciale, dans une seconde, celle de l’industrie manufacturière ; dans une troisième enfin, celle de l’industrie agricole : tel doit être le programme de la coopération pour tout pays. Il est d’une simplicité héroïque et j’ai la conviction qu’un jour ou l’autre, en dépit de nos faiblesses et de nos doutes, il finira par se réaliser" :

Charles Gide émet la possibilité d’une "conquête totale de l’économie" (Révolution) par le simple développement de la coopération de consommation. C’est une révolution sans violence. Il reprend l’idée traditionnelle du mouvement coopératif français érigé en principe par Buchez et Proudhon, qu’il suffisait d’accumuler un nouveau capital pour renverser le capitalisme lui-même, "Ce que veut le coopératisme, c’est créer de nouveaux capitaux en quantité suffisante pour dispenser de recourir aux anciens capitaux, et pour que ceux-ci flétrissent, inutiles entre les mains des possédants. Mais ce résultat, L1 ne l’attend que de la supériorité du régime coopératif et sans aucun acte de dépossession violente". (Le programme coopératiste de Charles Gide). Cette thèse relève de l’utopie sinon de la fantaisie pure et simple, et le développement du mouvement coopératif le confirme.
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Toutefois, le passage de la coopération de consommation à 1a coopération de production a quelques faits d’armes éclatants, notamment en Suède où la coopération regroupe 20 à 30 % des consommateurs. Le magasin de gros coopératif suédois Koopérative Furbundet (K. F,) se lança dans une lutte sans merci contre les trusts et les cartels capitalistes.

- Elle se bagarra en premier lieu pour faire baisser les prix de 1a margarine. Ayant une petite usine de margarine depuis 1909, en 1920 elle entra en concurrence et fit tomber les
Prix de 59 %.

- En 1928, la même K, F, en s’associant avec ses homologues finlandais, danois, norvégiens, construisit une usine "Luma" pour rompre 1e monopole des ampoules électriques. La baisse fut de 37 %.

- Ensuite K, F, se lança à l’assaut de tous les monopoles en brisant chaque fois les prix. 58 % pour les chaussures en caoutchouc, 26 % pour les flocons d’avoine, 22 % pour le salpêtre,22 % pour le savon Persil, 20 % pour les primes d’assurance incendie...

Cette révolution sans douleur n’a guère de pouvoirs subversifs et très sagement, B, Lavergne reconnait dans son livre "Le socialisme à visage humain" : "Il faut aussi observer que les résultats favorables procurés par la coopération à ses membres et au public s’atténuent au fur et à mesure qu’ils ont été obtenus. A partir du moment où la concurrence des coopératives a été active pour contraindre le commerce à aligner ses prix sur ceux de la coopérative, tous les consommateurs qu’ils soient coopérateurs ou non, profitent de l’abaissement des prix dti. à l’action de la coopérative. A partir de ce moment les habitants de 1a région n’ont plus guère d’intérêt à adhérer à la coopérative, la ristourne de fin d’année étant d’habitude faible. En un mot, le succès même que la coopérative a remporté limite son extension future. Ainsi y-a-t-il une sorte de seuil de saturation coopérative, très difficile à franchir".