1874

Janvier

M. lit l’Etat et l’Anarchie de Bakounine (1873) dont il fait de nombreux extraits (passages sur les Slaves « anarchistes » et les Germains « étatistes », le prolétariat slave et l’Internationale, l’Allemagne et sa haine « nationale » de la Russie, le panslavisme, la Pologne, l’alliance russo-allemande, la Russie et l’Asie, Marx « hébreux », « réunit toutes les qualités et tous les défauts de cette race damnée », capable de n’importe quel mensonge, calomnie, mais intelligente et savante, dialecticien matérialiste, disciple de Louis Blanc (! ), prêche comme lui, le « communisme d’Etat », carrière politique de M. depuis 1840, Marx et les « marxistes », M. et Lassalle, M. et l’A.I.T., etc.) Il annote certains passages (la paysannerie et le prolétariat des nations agraires, les conditions historiques et économiques de la révolution sociale, la commune comme gouvernement autonome, la disparition de 1’Etat politique et l’avènement de la commune non politique, la disparition des minorités dominantes et leur remplacement par des représentants-producteurs exerçant des fonctions administratives, le socialisme scientifique, le Volksstaat de Liebknecht, l’emploi de moyens politiques dans la phase de la lutte et leur disparition après l’émancipation, la dictature du prolétariat, etc.) (janv.)

E. fait à Liebknecht le récit du Congrès de Genève en insistant sur le comportement trompeur de Perret et de ses amis genevois. « Etant donné que toutes les informations laissaient entrevoir que le Congrès serait
purement local, tout au plus un congrès suisse avec une participation extérieure insignifiante, nous nous sommes décidés franchement à ne pas y aller. Le déroulement ultérieur a montré que nous eûmes raison (...). » (27 janv.)

Août

M. à Sorge : « En Angleterre, l’Internationale est, pour le moment, autant dire morte. Le Conseil fédéral de Londres n’existe comme tel que de nom, bien que quelques-uns de ses membres soient individuellement actifs. Le grand événement est ici le réveil des travailleurs agricoles (...) Quant aux ouvriers des villes, on peut regretter que ces canailles de chefs ne soient pas entrés au Parlement. C’est le moyen le plus sûr pour se débarrasser de la racaille. En France, les syndicats ouvriers s’organisent dans les différentes grandes villes et correspondent entre eux. Ils se limitent à des problèmes purement professionnels et ils ne peuvent pas faire autrement, au risque d’être supprimés sans façon. Ils maintiennent ainsi une sorte d’organisation, un point de ralliement pour le moment où une plus grande liberté de mouvement redeviendra possible. L’Espagne, l’Italie, la Belgique démontrent par leur impuissance pratique la valeur de leur supersocialisme. En Autriche, les gens travaillent dans les circonstances les plus difficiles (...) En Allemagne, Bismarck travaille pour nous. En Europe, la situation générale gousse de plus en plus à une guerre européenne généralisée. I1 nous faudra passer par là, avant que l’on puisse penser à une action extérieure décisive de la classe ouvrière européenne. » (4 août.)

Septembre

Au septième Congrès de l’A.I.T. (« anti-autoritaire »), qui se tient à Bruxelles (7-13 sept.), partisans de l’« Etat ouvrier » et de l’« an-archie » s’affrontent sur le problème des « services publics dans la nouvelle organisation sociale » C. De Paepe fait remarquer qu’« en Espagne, en Italie, dans le Jura, on est partisan de l’an-archie, et qu’en Allemagne, en Angleterre, on est partisan de l’Etat ouvrier, la Belgique flotte encore eutre les deux tendances. (...) ». De Paepe pense qu’ « il serait plus pratique que les fédérations, au lieu de se lancer dans l’inconnu et l’imprévu, s’emparent de la direction des Etats socialistes ». Même affrontement sur la question de l’action politique : « (...) Eccarius et les deux délégués allemands sont de fervents partisans de la conquête du pouvoir politique dans l’Etat par les classes ouvrières, et le délégué espagnol, le délégué jurassien, les délégués belges, sont de non moins ardents partisans de l’abstention de la politique parlementaire et gouvernementale. » Un projet de résolution est adopté à l’unanimité « sur la question de savoir dans quelle mesure l’action politique des classes ouvrières peut
être nécessaire ou utile à l’avènement de la Révolution sociale : le Congrès déclare que c’est à chaque fédération et an parti démocratique socialiste de chaque pays à déterminer la ligne de conduite politique qu’ils pensent devoir suivre. » (Bulletin de la F.7. ; Guillaume, t. III, p. 233 et suiv.)

Après avoir vainement tenté d’obtenir l’ajournement indéfini du C.G., Sorge démissionne de son poste de secrétaire général. E, à Sorge : « Ta démission marque la fin définitive de la vieille Internationale. C’est là une bonne chose. L’Internationale appartenait à la période du Second Empire où la pression qui régnait dans toute l’Europe commandait au mouvement ouvrier à peine ressuscité de rester uni et de s’abstenir (le toute polémique. C’était le moment où les intérêts cosmopolites communs du prolétariat pouvaient passer à l’avant-scène ; l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Danemark venaient de se joindre au mouvement ou allaient s’y joindre. En 1864, le caractère théorique du mouvement était en réalité encore très peu clair dans toute l’Europe, c’est-à-dire dans les masses. Le communisme allemand n’existait pas encore en tant que parti ouvrier, le proudhonisme était trop faible pour faire parade de ses marottes particulières, la nouvelle drogue de Bakounine n’existait même pas encore dans sa propre tête ; même les chefs des trade unions anglaises croyaient pouvoir entrer dans le mouvement sur la base du programme formulé dans les Considérants des statuts. Le premier grand succès devait briser ce rassemblement naïf de toutes les fractions. Le succès, ce fut la Commune, qui intellectuellement était à coup sûr le fruit de l’Internationale, quoique l’Internationale n’eût pas remué un doigt pour la faire ; et pour autant l’Internationale fut très justement rendue responsable de la Commune. Lorsque l’Internationale fut devenue, par la Commune, une puissance morale en Europe, la discorde commença aussitôt. Chaque tendance voulut exploiter le succès à son profit. Vint la dislocation inévitable. La jalousie envers la force croissante de ceux qui étaient réellement prêts à poursuivre leur action sur la base très large du vieux programme - des communistes allemands - poussa les proudhoniens belges dans les bras des aventuriers bakouninistes. Le Congrès de La Haye marqua effectivement une fin - et cela pour les deux partis. Le seul pays où l’on peut encore faire quelque chose était l’Amérique, et un heureux instinct y plaça la suprême direction. A présent, le prestige s’y est épuisé là aussi, et tout effort pour y insuffler une vie nouvelle serait folie et gaspillage de force. L’Internationale a dominé dix années d’histoire européenne dans une direction - la direction de l’avenir - et peut avec fierté regarder son muvre. Mais dans sa forme ancienne elle n’avait plus de raison d’être. Pour susciter une nouvelle Internationale à la mode de l’ancienne, une alliance de tous les partis de tous les pays, il aurait fallu, un écrasement général du mouvement ouvrier, tel qu’il avait régné de 1849 à 1864. Pour cela, le monde prolétarien est devenu trop grand, trop étendu. Je crois que la prochaine Internationale - quand les écrits de Marx auront agi pendant quelques années - sera franchement communiste et arborera directement nos principes. (...) Les Belges et bakouninistes tiennent ces jours leur Congrès à Bruxelles. (...) Désaccord général sur l’essentiel, masqué par le fait qu’on ne débat point, qu’on ne fait qu’exposer et qu’écouter. (...) » (12 et 17 sept.) E. à M. (qui fait une cure à Karlsbad et visite Dresde, Leipzig et Hambourg) : « Tu as sans doute lu les correspondances du Times sur le Congrès de Bruxelles (...). Ce fut un échec lamentable, 14 personnes, tous des Belges à part 2 Allemands lassalliens (...), Schwitzguébel, un Espagnol Gomez et Eccarius. » (21 sept.)