3, Le groupe et le travail théorique

Maxime prépare un travail d’ensemble sur l’histoire des mouvements de Conseils ouvriers avec comme idée directrice la nécessité de relier l’histoire des conseils ouvriers modernes aux grands mouvements de révolte du passé et d’analyser ces événements sous l’angle de l’expression spontanée des masses opprimées et exploitées et non sous celui des élites dirigeantes.

Maxime reçoit des publications du groupe des Communistes de Conseils d’Australie. Puis il a rencontré (en 1962) le réfugié hongrois Balazs Nagy qui a participé à la formation des Conseils à Budapest en 1956 et qui a publié une brochure sur ce sujet.

En octobre 1965, ICO publie un numéro spécial intitulé Le mouvement pour les Conseils ouvriers en Allemagne (1918-1935)... (A l’origine ce texte a été publié par le GAvec Maxime, à partir de 1958, notre groupe d’étude et de réflexion - plus tard devenu Groupe communiste de conseils - collabore étroitement à ICO (Informations et Correspondance Ouvrières) qui anime le « Regroupement inter-entreprises ». Cette nouvelle formation tend à« réunir des travailleurs qui n’ont plus confiance dans les organisations traditionnelles de la classe ouvrière, partis ou syndicats » devenues « des éléments de stabilisation et de conservation du régime d’exploitation, de chercher à créer des liaisons effectives directes entre les travailleurs, de nous informer mutuellement de ce qui se passe sur les lieux de travail, de dénoncer les manœuvres syndicales, de discuter de nos revendications, de nous apporter une aide réciproque. Cela devait nous amener à travers les pro-blèmes actuels, à mettre en cause le régime et à discuter de problèmes généraux tels que la propriété capitaliste, la guerre ou le racisme. Chacun y expose librement son point de vue et reste entièrement libre de l’action qu’il mène dans son entreprise. »

Nos camarades participent à ses réunions comme correspondants d’ICO (Guy à la Poste, Agustîn dans la photogravure, Lambert chez Chausson, Van chez Jeumont Schneider...)

Maxime entretient une correspondance en Hollande avec Anton Pannekoek, Cajo, Canne Meijer, aux Etats-Unis avec Paul Mattick, Willy Kessler, Raya Dunayevskaya, Sydney Hook, en Allemagne avec Krell, en Angleterre avec Laurens Otter, ainsi qu’avec nombre d’autres penseurs et révolutionnaires sympathisants.

De 1962 à 1969, le groupe publie une série de Cahiers de discussion pour le socialisme des conseils, essentiellement consacres aux problèmes « Pourquoi les Conseils ? », « Les Conseils ouvriers et la révolution socialiste ». Nous y présentons, en traduction partielle, Workers’ Councils ainsi que les Cinq thèses sur la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme d’Anton Pannekoek, du Groupe des communistes de Conseils de Hollande. Y figure un questionnaire Qu’est-ce que le socialisme ? avec des réponses diverses, ainsi que des articles, dont « Paupérisation et mouvement ouvrier » -« Remarque sur le livre de Jung, Présent et Avenir »- « Note sur la révolution et l’art » - « Note de lecture : Essai sur la révolution d’Hannah Arendt » - « Les douze articles de la Fédération socialiste de Gustav Landauer ».

Le Cahier n°8 (avril 1968) aborde les questions d’actualité : Sur la guerre du Viêt-nam, réflexions préliminaires ; Sur la réforme agraire au Viêt-nam ; Correspondance (sur la guerre au Viêt-nam) ; A propos des collectivisations en Espagne en 1936-1937

On y trouve les « Thèmes de discussion » proposés à la Réunion internationale de Taverny, organisée par ICO, laquelle réunit des Anglais, Hollandais, Allemands, Belges, Italiens, Viets.

1. Rapport entre les guerres dites de libération nationale et l’état de conflit permanent dans lequel se trouve la société moderne.

2. L’impérialisme américain moderne. Comment définir la nature des visées expansionnistes de l’Etat russe, la pression économique et militaire qu’il fait peser sur les démocraties populaires, sa politique d’« aide » aux pays dits sous-développés ?

3. Notre conception de l’auto-émancipation de la classe ouvrière et de la lutte autonome des exploités - paysans et ouvriers - contre leurs exploiteurs, nous permet-elle de dégager une attitude théorique et pratique commune sur les luttes ouvrières et paysannes.

a) dans les pays économiquement développés,

b) dans les pays semi coloniaux ou coloniaux soumis à l’un ou l’autre bloc,

c) dans les pays cri révolte contre la domination de l’un ou de l’autre bloc ?

En novembre 1968 paraît un Cahier spécial : Conseils ouvriers et Utopie socialiste, qui comprend entre autres des réflexions à propos de la révolte de Mai 1968, une analyse du rôle des syndicats et « partis ouvriers » dans l’exploitation capitaliste, la guerre du Viêt-nam… (Ce dernier Cahier sera repris dans « Les cahiers du Centre d’Etudes Socialistes », mai juin 1969.)

Sur Mai 68, nous y lisons :
« Chercher la signification objective des journées de Mai est une entreprise vaine. Seul l’avenir du mouvement ouvrier décidera du sort du mouvement de Mai 1968. La convergence des mouvements étudiant et ouvrier renferme le secret des luttes révolutionnaires à venir ; en même temps, elle préfigure la tendance essentielle de la future transformation sociale.

« Liée à une finalité révolutionnaire, la grève générale devient l’arme suprême du prolétariat moderne ; elle révèle la puissance réelle des producteurs qui, a tout instant, peuvent arrêter, voire anéantir, l’appareil de production qui les domine et les opprime. L’occupation des lieux de travail symbolise le futur mode d’appropriation des biens productifs pour le compte de la société.

« La simultanéité de l’action déclenchée dans les universités et dans les usines est en elle-même pleine d’enseignement. Elle a révélé que le mouvement ouvrier n’a de vérité qu’en tant que fait total, matériel et spirituel à la fois le pavé dans la main de l’étudiant figurait, plus qu’il n’exprimait, la négation de l’ordre établi, alors que l’occupation de l’usine et du bureau concrétisait, ne fût-ce que temporairement, l’expropriation de la classe possédante et le défi à l’autorité patronale et au pouvoir étatique.

[...l Graffitis, affiches, dessins traduisent en clair le même appel fondamental. L’immense force critique, long¬temps étouffée, du socialisme, de l’anarchie et du syndicalisme révolutionnaire venait d’exploser ; se propageant à tous les cerveaux, ce fut d’emblée un feu d’artifice d’idées subversives qui faisaient irruption dans la presse et dans les tracts, pour dégénérer finalement en littérature.

« Le socialisme, c’est l’utopie en tant que projet créateur fait de science et d’idéal, de savoir et de vouloir. Ayant entrepris depuis plusieurs années de propager la pensée du socialisme de conseils, nous fûmes moins surpris de voir surgir pour la première fois en France, sur les murs et dans les tracts les mots d’ordre de « conseils ouvriers ». Non pas que nous attribuions une importance exagérée à un rayonnement qui ne pouvait être que très limité, mais nous nous considérons nous-mêmes comme héritiers d’une tradition révolutionnaire qui s’est maintenue et s’est renforcée à l’ombre du mouvement officiel. Mai 68 aura aidé à l’éveil, dans l’action, d’une pensée qui devra désormais s’implanter dans la conscience de tous ceux qui militent pour la réalisation de la nouvelle utopie. »

Sur la guerre au Viêt-nam

« Depuis l’offensive du Têt, l’agitation mystificatrice de la propagande n’a cessé de s’intensifier. De jeunes Américains vont pourrir dans [es rizières et sur les collines du Viêt-nam sous les roquettes tusses ou chinoises pour défendre le « monde libre » du dollar et des bases militaires du Pacifique. De jeunes Vietnamiens sont envoyés à la boucherie bon gré mal gré dans un camp ou dans l’autre pour l’« indépendance nationale »> la « libération nationale>’> le « socialisme », etc. Un jour le massacre s’arrêtera, de par la volonté de « paix » des maîtres des Ètats, les survivants reprendront le chemin des usines, des bureaux et des fermes d’Amérique ; les gueules cassées, les sans-bras, les sans-jambes traîneront leur reste d’existence décorée. Là-bas, Ies « héros de la résistance », paysans et ouvriers du Viêt-nam retourneront dans les rizières ou seront jetés dans les usines de la nouvelle industrialisation ; ils auront bientôt perdu ce qu’ils ont pu avoir d’illusions. Ni le régime capitaliste à l’américaine, ni le capitalisme d’État de Ho Chi Minh ne mettra fin à leur situation d’exploités soumis à une dictature policière et, les bourgeois et les propriétaires fonciers chassés, c’est la buroupe des communistes de conseils de Hollande en 1938. J. Thomas de Workers’Rewew à Londres, a traduit la brochure en anglais sous le titre The Origins of the movement of workers’ councils in Germany 1918-1935.)

Le sujet fut l’objet d’un débat passionné à une réunion du Regroupement inter-entreprises en décembre. Le n0 43 d’ICO (nov. 1965) annonce la publication de textes sur les différents mouvements des Conseils : Russie, Espagne, Hongrie.

En la même année, le groupe des Conseils allemand nous envoie des documents sur le mouvement des Conseils en Allemagne. Leur bulletin Noir sur Blanc en est à son 7° numéro. Tout récemment, un précieux docu¬ment relatif au même sujet nous est offert par notre ami Arthur des éditions l’Insomniaque, sous le titre de Dans l’État le plus libre du monde, des extraits du périodique Der Ziegelbrenner, 1919-1921 (Fondre les briques d’un monde nouveau) de Ret Marut/ B. Traven, survivant de la République des conseils de Bavière 1919, dans lequel nous lisons :
« La république des conseils n’est pas le fin mot de l’his¬toire, encore moins la forme achevée qui permettent aux humains de vivre ensemble. Néanmoins, la république des conseils est un préalable à la refondation de la civilisa¬tion ; elle rend possible la liquidation de l’Etat.’ »

Maxime a le projet en 1966 d’établir un catalogue des écrits sur le mouvement des conseils ouvriers.

En septembre 1966, nous entrons en correspondance avec Le groupe beige « Unité Ouvrière » qui nous écrit de Bruxelles
[…] A Zwartberg, les mineurs en grève ont chassé les délégués syndicaux et ont mené la lutte seuls. Aux ACEC de Charleroi, des délégués syndicaux - membres du PC - ont brutalisé des femmes voulant manifester leur solidarité avec les grévistes de la FN-1Jei tat
Dans quelques entreprises, des travailleurs ont collectivement déchiré leur livret syndical Dans d’autres entreprises des groupes ouvriers se sont constitués.

« Unité Ouvrière » en collaboration avec d’autres groupes (« La Vie ouvrière de Liège principalement) cherche à susciter la formation de tels groupes d’action et d’établir des contacts étroits entre ceux-ci. A cet effet un manifeste sera distribué dans les prin¬cipaux centres industriels belges.
Ils nous envoient leur programme, qui prône une rup¬ture radicale avec les organisations ouvrières et leur idéo¬logie, responsables de l’échec du mouvement ouvrier, et critique l’idée selon laquelle le socialisme coïnciderait principalement avec la nationalisation des moyens de production et avec la planification de l’économie.


Revenons à l’activité du groupe, au fil de quelques réunions.

A la réunion du 19 juillet 1958 (sont présents Sophie, Lucien [Sanial) Agustin, Lambert, Jean Malaquais, Guy, Van), Maxime nous propose, afin de clarifier les raisons qui nous empêchent de participer aux mouvements et groupes dits « de gauche » en France, de nous donner pour tâche intellectuelle de définir pour nous-mêmes et pour les autres (pour d’autres individus et non pour les « masses » !), notre « doctrine » et notre « credo » (en sachant ce que ces termes peuvent avoir de prétentieux).
Puis il propose un plan d’étude et de réflexion sur :
-  les rapports du Travail et du Capital dans la France d’aujourd’hui ;
-  les buts et les moyens du mouvement ouvrier ;
-  un projet de travail sur l’histoire et théorie du mouvement ouvrier dont voici l’essentiel :


Introduction :

Il n’est pas question de faire une histoire complète du mou¬vement ouvrier mais de prendre en son sein les faits et les idées qui peuvent consolider les positions que nous ressen¬tons tous. Il s’agirait de faire une distinction entre ce qu’on pourrait appeler un socialisme « bourgeois » qui aurait pour origine Saint Simon, par exemple et un « socialisme ouvrier » que l’on pourrait faire partir de Robert Owen.
Historique qui débute sur les « Communes » de 1792 et de 1793, en montrant bien leurs différences.

- Les luttes de classes en France sous la Première République par Daniel Guérin, on pourrait peut-être consulter l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès ainsi que les bouquins de Gérard Walter sur Marat et Hébert.

- Les Enragés, Jacques Roux ; curé rouge et Sylvain Maréchal, études de Maurice Dommanget.

Les prémisses d’une autonomie ouvrière :

-  Robert Owen sur la base du livre d’Edouard Dolléans.

-  Un journal d’ouvriers : L’Atelier 1840-1850 par Armand Cuvilier.

-  Flora Tristan et l’Union Ouvrière sur la base du livre de J.L. Puech : La vie et l’oeuvre de Flora Tristan.

-  La Révolution de 1848 - les principales idées ouvrières en 1848 et insister aussi sur le massacre de juin 1848 dû à la confiance ouvrière dans la bourgeoisie.

-  La Première Internationale, en prenant comme exemple Eugène Varlin. Approfondir l’étude sur la « Fédération Jurassienne ».
La Commune de Pans en 1871 - en s’aidant du livre de Ch. Rhis très intéressant sur les idées principales des diffé¬rents groupements de la Commune.

Le socialisme « ouvrier » entre 1870 et 1914 :

- Jean Allemane et les allemanistes - brochure sur les allemanistes dans l’Histoire des Partis socialistes en France.

-  Le syndicalisme - sur la base du bouquin de Fernand Pelloutier : Histoire des Bourses du Travail

- L’opposition dans la Deuxième Internationale : surtout César de Paepe, Domela Nîeuwenhuis et peut-être Keir Hardie.

-  Le Syndicalisme révolutionnaire, la Charte d’Arniens, Griffuelhes et Pouget, etc. -

-  Voir le livre de Maîtron sur Paul Delesalle.

-  Les Anarchistes sur la base du livre de Maitron : Le Mouvement anarchiste en France de 1880 à 1914.

- La Révolution russe de 1905 - surtout l’étude des Soviets de cette époque.

La Première guerre mondiale

- La Révolution russe - sur la base du bouquin de Voline : La Révolution Inconnue 1917-1921 et de celui de Pierre Archinoff sur le mouvement makhnoviste.

Les Conseils ouvriers après 1918 :

-  En Allemagne et dans l’Europe centrale d’après le livre de Benoît-Meschin Histoire de l’Armée allemande 1° tome ;

-  En Italie sur les « Communistes de Conseils » (archives de Maxime).
Le socialisme « ouvrier » aujourd’hui :

-  Les oppositions communistes - Insister surtout sur celles de Korsch, de Pannekoek et aussi de Paul Mattick et Otto Rûhle.

- La CNT espagnole en 1936 et le bilan de l’expérience anarcho-syndicaliste.
- Les Conseils ouvriers dans les Démocraties populaires. Consulter les livres et les articles de Paul Barton.

Le mouvement « ouvrier » aujourd’hui :

- Sa facilité à accepter les régimes dominants qu’ils s’ap¬pellent bourgeois, staliniens ou fascistes.

Il n’y a plus d’autonomie ouvrière, ni même le désir d’une autonomie ouvrière.

Il y aurait lieu d’étudier ce qui reste de valable dans l’ancien mouvement ouvrier avec des livres comme Oppression et Liberté de Simone Weil (ouvrage particulièrement cher à Maxime).

Les théories « nouvelles » qui ne sont que les anciens thèmes de la collaboration de classe : Abondance -Fédéralisme, etc.

Les Conseils ouvriers :
Comment nous concevons la lutte et l’aboutissement de ce mouvement.

- 21 novembre 1958. Maxime parle du centenaire d’Owen. Peuvent se réclamer de lui, sans pour cela déformer sa pen¬sée, aussi bien ceux qu’on appelle aujourd’hui les « jeunes patrons » que les staliniens, les socialistes ou les réformistes.

- 6 décembre 1958. Marx et Engels n’ont fait qu’une seule critique aux idées d’Owen, c’est de ne pas envisager l’ac¬tion politique du prolétariat. Owen se prononçait contre la propriété privée, contre l’État, le mariage, la famille, la reli¬gion, pour l’abolition de l’argent, pour la transformation de la société sur la base de la commune, etc.

- Pour Maxime, l’étude de tout le socialisme aussi bien le « socialisme utopique » que le « socialisme scientifique » est à refaire. On ne peut pas les séparer, le « scientifique » est trop imprégné de l’« utopique ».
- 20 décembre 1958. Lettre de Maxime, d’Amsterdam le17 décembre 1958 : il critique une controverse entre Chaulieu et Lefort dans Socialisme ou Barbarie. « Réduire la question de l’action ouvrière à une question d’organisation, c’est vider la pensée socialiste de sa substance...

La gestion ouvrière n’est pas tout le socialisme et pour par¬venir à la gestion ouvrière, il faut avoir conscience (et non seulement intelligence technique) de tous les problèmes des rapports humains dans une société libérée du capital. »

- 10 janvier 1959.

Van fait un compte rendu sur le livre d’Etiemble, Le nouveau Singe pèlerin (qui deviendra un article pour La Révolution prolétarienne, juillet août 1959), sous le titre « M. Etiemble, commis pèlerin suppôt de Mao Tse Toung »).

En été 1959, Maxime en vacances à Roscoff m’écrit :
Ces vacances de famille ont leur bon côté. C’est une occasion pour éduquer et pour s’éduquer. Et pour connaître notre impuissance à obtenir de profonds changements dans les idées et les comportements de ceux que nous pouvons influencer (ou commander). A part cela, la vue de la mer et des rivages (moins les gens) me procure des plaisirs réels. Il y a des coins qui appellent et charmeraient le peintre que tu es…

La guerre d’Algérie et la guerre au Viêt-nam suscitent parmi nous de discussions passionnées sur le nationalisme dans les pays coloniaux et ceux dits sous-développés.

- 3 octobre 1959. Un camarade péruvien vient à notre réunion. Il estime que le nationalisme peut se comprendre dans les pays sous-développés et que l’emprise étrangère n’est pas la même dans un pays comme la Bolivie ou dans un pays comme l’Allemagne. Pour Agustin, la lutte dans les pays sous-développés orientée vers le nationalisme est une voie de garage. Elle ne devrait pas quitter le terrain de la lutte de classes.
Maxime parle d’un texte de Raya Dunayevskaya, qui étudie les questions que nous nous posons dans le groupe sur l’industrialisation et le nationalisme des pays sous-développés.


- 13 novembre 1959
.
L’idée de « mission historique » nous dérange, nous semble théologique. Van ne peut concevoir que toutes les sociétés humaines doivent nécessairement passer par tous les stades historiques définis par l’histoire classique. En Chine les exploités pourraient réaliser l’utopie socialiste sans se résigner pendant des générations à l’escla¬vage sous un capitalisme d’État bureaucratique.

Maxime rappelle que l’idée de « mission historique du prolétariat est le concept clef du socialisme selon Marx au même titre que celle de l’auto émancipation des tra¬vailleurs. Marx a voulu éviter l’écueil de l’idéalisme mora¬lisant en liant l’idée de mission à celle de « nécessité histo¬rique ». Le travailleur esclave ne peut pas ne pas rêver, ne pas vouloir ce que le fatum bourgeois lui commande. L’ambiguïté de l’argument n’enlève cependant rien à sa puissance de persuasion que renforce le spectacle vécu d’un monde allant à la dérive.

- 25 novembre 1959. Maxime précise, en introduction à mon exposé sur la Révolution chinoise, les points suivants :
La présence étude implique certains postulats qu’il convient d’ex¬pliciter afin d’éviter des malentendus.

1) Le système capitaliste de notre ère qu’il soit monopoliste ou étatiste a atteint un stade où sa fonction « historique » est essentiel¬lement négative, destructrice. Le capitalisme moderne ne peut plus compter, pour se régénérer que sur des entreprises successives de destruction massive. Ou bien il mourra dans un cataclysme nucléaire qui sera la fin de l’espèce ou tout au moins des sociétés, ou bien il sera vaincu par la Révolution. Cette thèse s’oppose par conséquent à toute conception du progrès.

2) Le socialisme n’est pas inscrit dans les prétendues lois de l’histoire et de la société. il est une nécessité humaine, sa réalisa¬tion dépend en premier lieu de la volonté, de l’intelligence et de l’action des masses exploitées.

- 3) Le socialisme sera l’oeuvre des masses exploitées elles-mêmes ou ne sera pas. Aucune avant-garde> aucune élite (quel que soit son nom) ne saurait se substituer à ces masses pour cette oeuvre de libération.

4) L’expérience de cent ans de mouvement ouvrier nous apprend que les types d’organisation de la classe ouvrière n’ont permis jusqu’ici qu’un seul type de lutte, celui dont parle le Manifeste communiste : « Jusqu’ici tous les mouvements étaient des mouvements de minorité ou dans l’intérêt de minorités. » Le Manifeste ajoute ; « Le mouvement proléta¬rien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité. » Il s’agit là non plus d’une constatation, mais d’un postulat ; non pas d’un fait mais d’un désir et d’un espoir.

5) Les formes d’organisation dans lesquelles le prolétariat a triomphé, ne fut ce que momentanément, furent des créations propres et spontanées des ouvriers eux-mêmes. En abandonnant la direction de leur mouvement à des politiciens professionnels> à des bureaucrates ou à des sauveurs providentiels, les exploités ont livré leur sort au pouvoir arbitraire de prétendues élites, c’est-à-dire de « minorités » au sens du Manifeste communiste.

6) Il s’ensuit que les types d’organisation que le prolétariat a connus dans le passé et qu’il connaît encore présentement sont des entraves à son action autonome. De nouvelles formes doivent être créées par les masses elles-mêmes et avec leur participation constante, active et consciente.

7) La Chine dite communiste ou, comme on dit encore, la Chine de Mao, semble être le théâtre depuis 1945 des mêmes phé¬nomènes sociaux qui se sont produits, dans le passé récent, chez presque toutes les nations à développement industriel : formationde larges masses prolétariennes, prolétarisation de la paysannerie ; concentration du pouvoir gouvernemental, hiérarchisation des fonctions et des emplois, création d’un État militaire et poli¬cier. Si le modèle soviétique inspire les actes des dirigeants de la Chine, on ne saurait cependant contester une certaine originalité à certaines institutions et réalisations du pouvoir chinois.

8) Selon une thèse marxiste, acceptée comme un dogme, la for¬mation de rapports de production capitaliste, donc un prolétariat généralisé, est la condition « historiquement » nécessaire du socia¬lisme. Cette thèse implique l’acceptation, par les exploités, d’« étapes », donc de servitude « historique », en dernière instance la pratique du réformisme comme moyen de lutte. Appliquée à la Chine qui s’industrialise et se prolétarise sous le couvert de socia¬lisme ; elle signifie la soumission aveugle au diktat du « Parti » incarnation de la « nécessité historique ».
Selon notre postulat de la négation absolue de la vocation créatrice du capitalisme et de l’État dans l‘ère des armes nucléaires, des dictatures militaires et policières et des guerres en chaîne, seule l’action révolutionnaire autonome du prolétariat dans ses organisations propres et selon les principes de solidarité internationale, peut conduire à la réalisation du socialisme : le nationalisme et le réformisme ne peuvent conduire qu’à la catas¬trophe qui est en germe dans le système du Capital et de l’État.
Maxime

- 27 décembre 1959.

Un invité d’honneur : le camarade hongrois Philippe [Etienne Balazs, 1905-1963]. Débat sur l’exposé de Van sur la Révolution chinoise.

A la demande de Maxime, Philippe nous donne les précisions historiques suivantes.

PHILIPPE Le schéma classique de l’évolution des sociétés par les marxistes : période primitive, esclavage, féodalité, capitalisme, est en partie exact, mais il ne faut pas oublier que même Karl Marx a fait des entorses à ce schéma et qu’il décrivait, en particulier pour les pays d’Asie, une évolution toute spéciale.

Si durant trente ou quarante ans les révolutionnaires se sont demandé à quel moment la trahison a eu lieu... il faut convenir aujourd’hui que derrière la façade des révolutions russe et chinoise il n’existe que des périodes de l’industrialisation de ces pays, et qu’il n’y a absolument rien de socialiste dans ce phénomène. La question essentielle que nous devons poser aujourd’hui c’est Qu’est ce que le socialisme ?

La Chine était depuis plus de 2000 ans (-221) sous le gouvernement des lettrés fonctionnaires avec l’empereur au sommet de la pyramide. Les régimes d’aujourd’hui, aussi bien en Russie qu’en Chine, reprennent sous des vocables différents des choses très anciennes. Le régime russe peut être comparé au despotisme asiatique de l’empire mongol et le régime chinois a des ressemblances frappantes avec l’empire des lettrés fonctionnaires.

Il est nécessaire de comparer les frais de l’accumulation primitive. Cette accumulation en Chine est plus rapide que celle qui a eu lieu en Europe occidentale au XIX° siècle, donc en principe moins dure. Il est vraisemblable que cette accumulation apportera plus de bien-être. l’industrialisation est nécessaire. Ceux qui en socialistes s’opposent aux régimes russe et chinois doivent poser les problèmes d’une façon plus générale. Il faut voir plus grand.

Maxime est très intéressé par cette conception des frais de l’accumulation. Pour lui, il faut ajouter à la note les frais des guerres et des crises, etc. Il explique a Philippe les divergences opposant les camarades du Groupe à Cousin, Daniel et Louis (cf. supra, point 8 de l’Introduction de Maxime à l’exposé de Van sur la Révolution chinoise) et à la suite desquelles ces derniers s’étaient éloignés du Groupe.

Mais même après, Louis Evrard a toujours accompagné Maximilien Rubel dans ses travaux, et notamment en lui procurant des traductions d’une qualité exceptionnelle pour les quatre volumes de La Pléiade. Jusqu’à sa mort, ils ont entretenu une correspondance amicale sur des sujets d’actualité comme sur des problèmes purement marxologiques. Voici le fragment d’une lettre qu’il lui écrivait de Nice, le 18 juillet 1977 : « Oui, mon cher Maxime, le temps mange la vie ; surtout quand c’est le temps mesuré a l’horloge patronale. Je m’en console comme je peux, en me répétant l’extraordinaire réflexion de Mme Mao, ou plu¬tôt attribuée a Mme Mao - car je ne peux pas croire que la Chiang-Ching ait ce génie-là- et j’incline à y voir le style d’un de ses persécuteurs en veine de calomnie :

« Qu’’importe ! Nous préférons le retard socialiste à l’exactitude capitaliste ! Hélas, je vis dans le retard capitaliste, qui est baptisé exactitude. » Louis Evrard et sa compagne Nicole ont toujours maintenu des liens d’amitié fidèle avec nous tous. Il nous a quittés en juin 1995.

PHILIPPE : Il existe dans le monde une politique internationale basée sur les nations. Lors de la révolution hongroise, ce sont sans aucun doute les ouvriers qui ont combattu, il y avait avec eux certains réactionnaires, cela s’est toujours produit. Il faut poser le problème dans le cadre de la politique des nations. La Russie ne pouvait abandonner la Hongrie au bloc concurrent, d’où l’écrasement de l’insurrection.

C’est comme si Philippe avait trouvé que la réaction brutale de la Russie en octobre 1956 était simplement dans la « logique » de la politique des nations capitalistes... Augustin pense que nous ne sommes pas là pour considérer les problèmes d’un point de vue national, capitaliste, en historien ou autre, mais que c’est le point de vue du mouvement ouvrier qui nous intéresse.

Sans nier les nécessités de l’industrialisation, Van souligne que c’est depuis 1927 que l’on entend dire que la Russie doit dépasser les États-Unis sur le plan économique... Et combien de générations devraient être encore sacrifiées pour le soi-disant bonheur des suivantes, Si l’on se soumet à ce schéma...

19 janvier 1960

. Maxime lit la conclusion de son livre Karl Marx devant le bonapartisme, 1960. C’est à travers les articles que Marx et Engels envoyaient de Londres aux journaux de l’époque, notamment au New York Times que Maxime dégage, année par année, l’attitude de Marx devant les événements de son époque, et notamment vis-à-vis de Napoléon III, de sa politique et de son régime.

Maxime présente un Marx qui se contredit continuellement. Si les deux livres de Marx sur la Seconde république (Les Luttes de classes en France et Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte) sont des études sociologiques approfondies, si Marx a étudié dans le détail l’économie et les raisons d’agir pour la bourgeoisie, il il n’en est absolument pas de même pour le Second Empire. Marx n’a fait sur cette période que des articles de polémique contre Napoléon III.

Maxime attribue cela au fait qu’a cette époque Marx était en quelque sorte un homme politique qui devait prendre position, qu’il parlait au nom de l’Internationale, qu’il devait donner aux militants des armes et des direc¬tives pour le combat immédiat.

Dans sa conclusion, Maxime fait apparaître plusieurs contradictions chez Marx. Le rôle de l’Etat n’est pas très clair dans la pensée de Marx, il le veut représentant de la classe dominante ou en dehors de la société comme une excroissance, il y a opposition entre l’État et la société, mais Marx n’a jamais conclu à la lutte contre l’État, ce qui l’aurait placé sur les mêmes positions que Bakounine.

Tant que Napoléon III a régné, Marx a accusé le mouvement ouvrier français d’être inexistant, de ne rien entreprendre et même en partie d’accepter la politique napoléonienne. Lors de la Commune, Marx revient complètement sur ces considérations négatives.

Sophie a entrepris sur Flora Tristan un travail de longue haleine, a partir de ses écrits même...

5 février 1960.

A la suite de la semaine des barricades d’Alger, une grève générale a été déclenchée en France, pour une heure, le 1° février 1960.

Chez Lucien, une fabrique de peinture, tout le monde est descendu sans exception. Le patron a recommandé de descendre, Lucien est resté au travail. Il pense que ces grèves officielles, autorisées par le gouvernement et encou¬ragées par le patron, il faut les refuser. Lucien demande s’il est exact qu’aux usines Renault un mouvement assez fort contre la grève a eu lieu, les ouvriers refusant de « débrayer » avec les « jaunes ».
Lucien ne voit dans le coup qu’une manifestation de l’ar¬mée qui veut prouver que rien ne peut se faire sans elle et, pour ses besoins à elle, la guerre d’Algérie doit durer encore.

Chez Jeumont-Schneider, les ouvriers et quelques techniciens, sauf les employés, ont débrayé, se sont réunis dans la cour. Un vieux syndiqué, après un palabre en belle langue de bois arrive à faire voter une motion pour réclamer au général de Gaulle... la paix en Algérie Van a demandé en vain à inclure dans cette motion un passage pour la fin de la guerre en Algérie qu’il y ait négociations avec le FLN, le MNA ou avec le diable, on s’en fiche, mais nous, ouvriers travaillant en France, nous devrions exiger que la boucherie s’arrête. De toute façon, Si elle dure encore, combien de Français et Algériens s’étriperont-ils encore sur le champ du déshonneur et peut-être ne restera-t-il plus d’Algériens pour parler d’autodétermination...

Maxime raconte la séance que les sociologues du CNRS, des femmes en majorité, ont tenue, à l’occasion de laquelle une motion de soutien à de Gaulle a été votée, motion préparée à l’avance... Tout le monde a voté pour, personne contre. Maxime a déclaré s’abstenir mais les assistants n’ont même pas essayé d’entendre ses raisons. Naville a téléphoné pour donner son accord en précisant qu’il ne fallait pas donner un blanc-seing à de Gaulle. Les assistants, d’après Maxime, sont plus bornés et moins inté¬ressants que les ouvriers d’usines

17 février 1960. Benno Sarel - sociologue, auteur de La classe ouvrière en Allemagne orientale - nous raconte son voyage d’un an commencé en été 1958 en Afrique du Nord, dans la région montagneuse du Moyen-Atlas, où vivent deux confédérations de tribus, une arabe et une berbère, dans la plaine entre Meknès et Fez, à travers les plantations à Sousse, dans les oasis du Sud tunisien. Emerveillé par l’accueil et la fierté des populations autoch¬tones, notre camarade parle des points communs de ces quatre régions différentes. Et surtout de leur habitude de la vie communautaire.
Après ce voyage, Sarel pose deux questions : De quelle façon pouvons-nous parler à ces gens-la, de quelle façon pouvons-nous les atteindre, les intéresser ? Ils n’ont pas les mêmes réactions que les ouvriers. Comment atteindre sur¬tout cette jeunesse intellectuelle qui s’évade et qui veut suivre les exemples russe ou chinois ?

- 4 mars 1960.

Réunion avec la présence de Benno Sarel. Maxime étant malade, c’est Sophie qui lit le papier qu’il a écrit sur l’exposé de celui-ci :

Quelques réflexions pour une discussion.

[... .] je crois que Sarel a voulu dire qu’en tant que socialiste de formation occidentale et marxiste il devait avoir quelque chose à apprendre aux gens qu’il a rencontrés là-bas mais qu’en réalité il ne trouva pas de langage commun (au sens figuré) avec ces hommes d’un pays sous-développé.

Pour ma part, je n’ai pas de leçon à donner à Sarel [...]je dirais simplement que le principe même d’une intervention « socialiste » dans le destin des pays dits sous-développés, au niveau de la propagande et du militantisme que l’on pratique dans les pays dits « avancés » me paraît contestable. ...] Sarel ne sera sans doute pas entièrement d’accord avec nous sur ce point. [...)

Nous aurons à passer à un réexamen total et profond des formes et méthodes de la lutte ouvrière dans le présent et dans le passé. . . Nous avons à étudier l’histoire et la pensée du socialisme et du mouvement ouvrier et nous devrons établir une sorte de « bilan des pertes et profits ». En d’autres termes, nous aurons à réviser et à refaire le calcul des « faux frais » de ce que l’on appelle le progrès... Nous aurons à dresser en premier lieu la table des valeurs de l’éthique socialiste, telle qu’elle peut être dégagée des ouvres et des écrits produits parles diverses écoles socialistes, communistes et anarchistes.

Nous pourrions nous tourner vers l’histoire réelle du mouve¬ment ouvrier dans ses manifestations multiples (mouvement syn¬dical, action politique, mouvement de grève et d’insurrection, etc.) et vers l’histoire des révolutions ouvrières (françaises, allemandes, russes, etc.).

En troisième lieu, nous aurons à mettre en balance la théorie et la doctrine avec les luttes réelles... Il importe de formuler la pensée (pour ne pas dire la théorie) des fins et des moyens dans le mouvement ouvrier et le socialisme. [. . .
N’étant pas hommes de parti, nous ne pouvons lui [à Sarel] pro¬poser autre chose qu’une étude et une réflexion communes. Sortir des chemins battus (dont nous connaissons assez les aboutissements) est peut être sans efficacité immédiate. Mais mieux vaut être « ineffi¬cace » que de se rendre complice des efficacités destructives qui meur¬trissent le monde contemporain. Mieux vaut avoir et exprimer des incertitudes et des doutes sur la réalité présente et passée que de se joindre aux entreprises, grandes ou petites, qui rendent la réalité insupportable à l’immense majorité des vivants.

Benno Sarel, déçu par nos réponses, déclare que, si nous, socialistes, nous ne savons pas parler à ces populations, d’autres s’en chargent et y feront beaucoup d’adeptes et que la situation yougoslave et surtout la révolution chinoise les intéressent au plus haut point.

15 mai 1960.

Guy est allé à une réunion du « Regrou¬pement inter entreprises » où H. Simon et J. Sauvy propo¬sent une « Déclaration de principes » (cf. supra) que la plupart des participants ont trouvé anti syndicaliste.

Maxime pense que les constatations de Simone Weil dans son livre Oppression et liberté sont justifiées : subordi¬nation du travail productif à la fonction de coordination la crise atteint plus le prolétariat que le capitalisme le socialisme scientifique est demeuré le monopole des intel¬lectuels au lieu d’être harcelé par la nature, l’homme d’aujourd’hui est harcelé par la machine, donc par l’homme, etc.
Lucien lit un texte des Écrits politiques de Simone Weil sur une révolte prolétarienne à Florence au XIV° siècle. Elle a tiré les faits de l’oeuvre de Machiavel et les a commentés. Les bourgeois surent parfaitement faire se battre les ouvriers à leur profit et les écraser. Ce texte avait paru dans La Critique sociale de mars 1934.

Pour Maxime, Simone Weil n’est pas juste avec Marx qui a tout de même donné des réponses aux questions qu’elle a posées. Toute l’ouvre de Marx est, en plus d’une critique, une réponse. Maxime rappelle que déjà en 1898 un Russe estimait que les partis socialistes européens n’étaient que les partis des nouvelles classes dirigeantes composées d’intellectuels, d’employés, de bureaucrates... Les idées de Simone Weil comme celles de Ricci ne sont donc pas nouvelles à ce sujet.

Bien que tout à fait pessimiste, Simone Weil définit le socialisme et c’est là le plus intéressant de son oeuvre : le socialisme existera quand la fonction dominante sera le travail productif, mais cela ne se peut pas en raison de la subordination du travail productif à la fonction de coordi¬nation. Si le mouvement ouvrier, comme elle le constate, a reproduit toutes les tares du régime existant, on peut dire comme Pannekoek (n’oublions pas que Pannekoek est astronome ! Maxime dixit) que le mouvement ouvrier n’a guère plus d’une centaine d’années, qu’il est encore dans l’enfance et que dans plusieurs centaines d’années ces tares seront toutes éliminées.


5 juillet 1960.
Maxime a consulté à l’Institut International d’Histoire Sociale, à Amsterdam, la collec¬tion du journal Der Syndicalist qui a paru de 1918 à l’arri¬vée de Hitler au pouvoir en 1933. Cet hebdomadaire donne, en 1919 1920, des détails sur la Révolution alle¬mande au jour le jour. L’un des rédacteurs du journal est allé en Russie en 1920 et, après avoir vécu parmi les ouvriers russes, à l’occasion de stages dans les usines, a conclu que les soviets ouvriers n’avaient aucun pouvoir et que la Russie se trouvait dans une phase économique que l’on pouvait définir comme du capitalisme d’État.

Le journal signale une conférence internationale qui a eu lieu avec les représentants de l’IWW, des Shop Stewards (Tanner), des Comités syndicalistes révolution¬naires français (Victor Godonnèche), des Hollandais, un Russe. Theodor Pliever y participait également. Ce grou¬pement de révolutionnaires allemands avait pris position dès le départ en faveur de la Révolution russe mais, il rompt avec Moscou lorsque les conditions d’adhésion à l’ISR et à la III` Internationale ont été connues.

Maxime dit la nécessité de connaître mieux la pensée de ces groupements qui ont été éliminés par les grandes organisations politiques et syndicales officielles. Leur pensée et leur action ont été étouffées complètement. Il y aurait donc lieu de reprendre ces positions, ne serait ce que pour montrer que nos positions ont une tradition et que ce que certains groupements semblent découvrir aujourd’hui n’a absolument rien de nouveau. Il faut tra¬duire des textes des camarades des IWW (en particulier Daniel De Leon), de syndicalistes révolutionnaires de tous les pays (Espagne, Italie, Hollande, Russie, etc.) et des textes des libertaires et anarchistes chinois de la Chine ancienne [évoqués par E. Balazs dans La Bureaucratie céleste.

10 septembre 1960. Jean Malaquais parle de son voyage au Mexique, décrit une grève de cheminots déclenchée à la fois contre le gouvernement et contre les syndicats. Au Mexique, tous les ouvriers étant obligatoirement syndi-qués, ce fut là en quelque sorte une rébellion de la base contre les bonzes syndicaux, qui suivaient le gouverne¬ment en demandant l’arrêt les revendications pendant une année, les caisses étant vides. Il y eut de nombreux tués et blessés et 8 000 cheminots ont été mis en camp de concen¬tration. Il n’y a eu aucun écho dans le monde (juin 1960). Les syndicats américains se sont bien gardé d’en parler et seules des « feuilles de chou » de « gauche » au Mexique ont donné quelques détails.

Jean donne des détails sur les élections au Mexique. Les gouverneurs, n’étant pas rééligibles, tirent profit de tout ce qu’ils peuvent. C’est un marché formidable qui dure quelques mois avant les élections. Il cite le cas d’une ville balnéaire qui n’a ni eau ni électricité, l’ancien gouverneur ayant vendu la centrale électrique. Les gendarmes arrêtent toutes les automobiles le vendredi après midi et dressent d’office des contraventions, c’est leur seul moyen de se faire payer.

Il a rencontré Nathalia Trotski, toujours intéressée et qui désire être abonnée au Monde diplomatique et à L’Express.

Aux États Unis, il a rencontré un groupe des camarades à Pittsburgh, la ville des aciéries... L’un d’eux, ouvrier dans une aciérie, lui a appris qu’il était le seul ouvrier de ce groupe, qu’il était très isolé au milieu de ces usines gigan¬tesques, n’ayant aucun contact avec d’autres ouvriers en raison de ses positions politiques.
Maxime résume et lit la conclusion d’un article de P. Mattick sur les révolutions nationales actuelles.


23 septembre 1960
. E. Balazs, Isaac Kapuano, étaient parmi les 12 présents,

Jean Sauvy fait un exposé sur la situation du Congo. Sur le plan économique, le Congo belge est un des pays les plus industrialisés du continent africain. Il y a un véritable prolé¬tariat noir qui travaille comme ouvrier spécialisé, mais éga¬lement comme ouvrier professionnel. Au Katanga, il y a un niveau de vie relativement élevé par rapport aux autres autochtones. L’ouvrier a souvent sa maison à lui.

Sur le plan politique, le gouvernement belge s’est contenté de s’appuyer sur les anciens chefs de tribus, chefs précédemment reconnus par les autochtones. Petit à petit ces chefs ont perdu leur influence, et la plupart partent dans les régions exploitées par les « Blancs » pour faire des affaires et gagner de l’argent.

Les premières révoltes contre la colonisation ont lieu dans les milieux ruraux impulsés par des sectes politico¬-religieuses, se réclamant d’un messie (Kibangu par exemple) et revendiquent une église autonome. Les mis¬sions religieuses ont trouvé un terrain très favorable pour leur évangélisation. L’application par les autochtones des principes enseignés par les missions entraîna de nombreux conflits et donna naissance aux sociétés secrètes. Ces sociétés se recrutent principalement par ethnies.
Dans le Mouvement national congolais, chaque pro¬vince a son chef, chacun représente une ethnie particu¬lière. Il semble dans ce domaine que seul Lumumba ait envisagé un État unitaire, tous les autres étaient favorables au fédéralisme.

L’état du Congo indépendant en 1960 est un véritable chaos :
Kasavubu, animateur de l’Abako (association des Bakongo) président de la république. Les Bakongo qui le soutiennent sont les mêmes que ceux qui soutiennent de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, son cousin l’abbé Fulbert Youlou. Léopoldville compte 55 % de Bakongo.

Katonje, représentant du Mouvement national congolais, devenu l’homme de la Forminière, a déclaré l’indépendance de sa région qui représente à peu près les terres exploitées par la Forminière (diamant).
Tschombé au Katanga, homme de l’Union minière du Haut Katanga a une base solide car une partie des ouvriers des mines le suivent.
Lumumba vient de la Province Orientale, de Stanleyville, province la plus déshéritée. II s’appuie dans chaque province sur les éléments minoritaires. Il semble que N’Krumah l’ait convaincu et que son idée d’un État indépendant unique vienne de là.


23 novembre 1960.
Une circulaire du « Regroupement inter entreprises » indique qu’une réunion consacrée aux licenciements de chez Renault et à la guerre d’Algérie aura lieu le 9 décembre à la salle rue de Lancry où sont invités Socialisme ou Barbarie, ICO, Tribune ouvrière, Noir et Rouge, etc.

Maxime parle longuement sur la question du nationa¬lisme dans les pays sous développés. Il est impossible pour nous de prendre position entre les différentes conceptions du nationalisme algérien. Nous n’avons pas plus à « porter les valises du FLN » qu’à soutenir les messalistes. Notre rôle est de voir ce qui se passe en France et de ce qui est possible de tenter.

13 janvier 1961. Van a fait la critique d’un texte sur les communes chinoises paru dans Défense de l’homme (critique publiée par le périodique en septembre 1961).

Isaac et lui ont rencontré un camarade chinois qui a raconté que tous les voyageurs en Chine faisaient exactement tous le même trajet (21 jours) et qu’il était impossible qu’ils aient une connaissance réelle de la question, que ce soit Sartre, Beauvoir, Etiemble ou Herbert Read.
À l’époque, la Chine pop agrémentée des Cent Fleurs (1956 1957), du Grand Bond en avant (1958) et, plus tard, de la « révolution culturelle » (1966 1968) lancés par Mao, éblouit et aveugle une grande partie de l’intelligentsia en France. Sartre et Simone de Beauvoir, hôtes à la Cour de Pékin, ont refusé d’intervenir en faveur d’un écrivain chinois emprisonné lors de la campagne de répression contre les Cent Fleurs, ce dernier était « allé trop loin dans ses cr¬tiques » contre le régime. (Ceci nous fut relaté par ce camarade.) Les sinologues, sauf quelques uns, tombent prostrés devant la « Chine nouvelle ».


9 septembre 1961
. Guerre et paix. Maxime dit qu’on ne peut pas être « pacifiste » ou « non pacifiste » dans notre régime, cela ne veut rien dire, on subit les façons dont nos gouvernants dirigent...


2 février 1962.
Des camarades ont été à l’incinération de Nathalia Trotski au Père Lachaise. Parmi l’assistance, beaucoup de jeunes étudiants. La cérémonie a été récupérée politiquement par les différentes factions trotskistes. Les discours ont été nombreux, plus ou moins ridicules. Sophie a écrit un papier indigné sur cette mascarade, qui trahissait les dernières volontés de Nathalia.

26 octobre 1962. Avec la présence du camarade hollandais Cajo et d’un nouveau venu, Pap, réfugié hongrois, 64 ans, ouvrier chez Jeumont Schneider à La Plaine Saint¬Denis. Membre du parti communiste (le 7°) depuis 1919, Pap a combattu dans la résistance avec sa femme et avait été horrifié du comportement des troupes russes en 1945. Il fut exclu du parti en 1949 et il quitta la Hongrie en 1957.

25 octobre 1963. Rencontre avec les rédacteurs de Front Noir, revue qui se réclame du surréalisme. Ce sont de jeunes camarades intellectuels dont les préoccupations ne se limitent pas au seul domaine politique. Il y aura désormais échanges permanents entre leur bulletin et le nôtre, sans que les positions des uns et des autres se confondent.

Après Mai 68, Louis Janover, qui en est l’un des animateurs, deviendra collaborateur de Maximilien Rubel.

22 novembre 1963. Maxime nous parle passionnément de Gustav Landauer (1870 1919), libertaire, membre de la République des Conseils proclamée à Munich en avril 1919, qui fut assassiné en prison à coups de crosse le 1" mai 1919.

Maxime a traduit l’avant propos du livre le plus connu de Landauer L’Appel au socialisme... Il résume sa pensée dans les 12 articles de la Ligue socialiste : Landauer en appelle aux hommes qui, comme lui, ne peuvent plus supporter cette existence.

Le socialisme est la volonté d’hommes unis de créer du nouveau par amour d’un idéal, un mouvement culturel, une lutte pour la beauté, la plénitude. Le socialisme est toujours possible si un nombre suffisant d’hommes le veulent. La base fondamentale de la culture socialiste est l’Union des Communes économiques qui sont autonomes et pratiquent l’échange entre elles. La Ligue socialiste proclame que le but de ses aspirations c’est l’anarchie au sens primitif du terme : l’ordre par les fédérations libres. Sa tâche n’est ni la politique prolétarienne, ni la lutte de classes, qui sont les accessoires du capitalisme et de l’État fort, mais la lutte et l’organisation en vue du socialisme. L’ État c’est le néant qui s’habille du manteau de la nationalité. Au lieu de l’esprit, nous avons la superstition scientifique : le professeur Marx a inventé cette drogue (disciple de Hegel). Le marxisme c’est le professeur qui cherche à dominer, c’est l’enfant authentique de Marx, mais les élèves n’ont pas le génie du père. Qu’affirme cette science ? De connaître l avenir, quelle prétention ! A quoi bon vivre si nous connaissons l’avenir ? Nous sommes tenez bon, marxistes ! des poètes.

En été 1970, Maxime fut invité à participer à l’École d’été de Korcula en Yougoslavie. Il a choisi comme thème de communication : « La fonction historique de la Nouvelle Bourgeoisie » mettant à l’index la bureaucratie dominante dans les pays dits socialistes. D’emblée, il déclara

Le monde actuel, c’est le règne universel de l’esprit bourgeois, de la morale bourgeoise. En parlant du règne universel de la bour¬geoisie, nous ne visons pas uniquement la bourgeoisie tradition¬nelle liée au système capitaliste occidental. Si nous admettons que les pays « socialistes » ne le sont pas seulement de nom, mais le sont réellement, il nous faut admettre en même temps que leur caractère ne répond ni â la théorie, ni â l’éthique sociales proposées par Marx ; en retranche reconnaître la validité de cette théorie et de cette éthique, c’est reconnaître que les États dits socialistes sont en vérité, et par force, des régimes d’exploitation et d’oppression de l’homme par l’homme.

Maxime nous envoie un message de Korcula

Le 18. 8. 70
Après une semaine de peu ou trop savantes confé¬rences et autres inutiles discussions, je prends quelques jours de « vraies » vacances en compagnie de Mania et de Natacha. J’ai participé au cirque m[arxiste] léni¬niste en essayant de démontrer qu’il s’agit nécessaire¬ment de rechercher des objectifs que la bourgeoisie occidentale a ratés. Mes

En février 1984, le groupe lançait un appel Pour une Union mondiale des tendances révolutionnaires, en publiant à Paris le Bulletin de correspondance n°0, avec les réponses reçues de Paris (dont celle du groupe La Banquise), San Francisco, Barcelone, Londres, Odense (Danemark), Bruxelles, Luxembourg...

L’appel, rédigé par Maxime, constate l’absence d’« un mouvement révolutionnaire authentique mettant en péril l’ordre social mondial dominé par le Capital et l’État, ces deux fléaux dont disposent les oligarchies économiques et politiques menacent aujourd’hui l’humanité d’un cataclysme qui n’a pas son pareil dans l’histoire. Ils maintiennent l’espèce humaine dans un état de servitude permanente, l’insécurité matérielle et morale des masses entraînent quasi automatiquement la soumission de l’immense majorité aux entreprises d’exploitation économique et aux aventures politico militaires des pouvoirs établis. [...]
« ... l’union des travailleurs est la première condition de leur triomphe » (Marx, 1847). Nulle théorie, nul marxisme, pour admettre cette vérité qui est bien antérieure à l’ouvre de Marx.

Le but révolutionnaire ne sera atteint que si le mouve¬ment est porté par des individus dont le comportement et l’action tendent à l’union et à la solidarité plutôt qu’à un accord théorique ; si ce mouvement se confond avec l’ac¬tivité de masses d’individus dont la force révolutionnaire sera leur nombre et non leur soumission à des mots d’ordre d’avant gardes divisées entre elles par des « plates-formes » contradictoires, qui sont autant d’obstacles à l’union des travailleurs manuels et intellectuels. Il est conforme à la lettre et à l’esprit de l’enseignement des penseurs socialistes du XIX siècle, Marx y compris, d’accorder la priorité à la pratique révolutionnaire sur la spéculation verbale et de concentrer la réflexion sur une action concrète portée par un mouvement de masses. Il importe donc d’élaborer un projet de subversion sociale progressive dans le respect critique des impératifs révolutionnaires hérités des réformateurs (socialistes, communistes, anarchistes) dont les contributions théo¬riques et pratiques gardent encore aujourd’hui une cer¬taine valeur. »

Novembre 1988. Maxime participe aux « Journées de rencontres expérimentales » à l’Université de Barcelone. Et je veux vous en donner ici le résumé, rédigé par Sophie, de ses « Réflexions intempestives » sur La barbarie, lèpre de la civilisation.

1) 20 ans après Mai 68, dans l’ère nucléaire où nous sommes, les pratiques destructrices sont imposées par une minorité barbare à la masse des citoyens qui vit dans un état de servitude apparemment volontaire. Ce devrait être la tâche des privilégiés du capital culturel (non indépen¬dants du capital économique) de dénoncer ces pratiques, d’enseigner le refus d’obéissance à l’oligarchie, le refus de sa domination, au lieu de débattre des modèles du futur.

2) Le choix de mai 68 comme point de départ d’un nouveau projet de civilisation ne se justifie que si on considère cette date comme échec total sur le plan de la remise en question de la civilisation, du fascisme, du stali¬nisme, de l’utilisation de la bombe nucléaire. Mai 68 n’a finalement été que littérature, bref moment d’une longue chronique des temps de déclin.

3) La barbarie de la production et de la distribution capitaliste n’a pas [encore ?] produit les « fossoyeurs » annoncés comme fatals en 1848, à la veille de la révolu¬tion de Février. Essor extraordinaire au oc` siècle des connaissances et de leurs applications dans la création et la destruction, et en même temps aliénation intellectuelle se manifestant chez les professionnels du discours culturel par l’acceptation d’une perspective omnisuicidaire.
État d’aliénation des antagonistes en présence : oligarchies paranoïdes, immense majorité livrée aux mass media.

4) Les utopies du XVIII° siècle ont créé assez de « modèles » de changement de sociétés nouvelles non barbares. Aujourd’hui, les maîtres du discours élitaire, fabriquent pour les maîtres, des idéologies : dissuasion,

État, progrès capitalistes. Alors que les privilégiés de la culture devraient refuser d’être les complices passifs ou actifs des oligarchies économiques, politiques et mili¬taires, et chercher à inventer un projet de transition pour une société rationnelle libérée des lois du Capital et de son État.

5) jamais dans l’histoire pré atomique l’économie mar¬chande fondée sur l’accumulation du profit et de la puis¬sance n’avait créé autant d’entreprises destructrices de l’environnement naturel. Les engins nucléaires et chi¬miques omnidestructeurs sont inventés et fabriqués par une minorité de technocrates de la science et du pouvoir, une classe sociale mondiale, composée par des oligarchies rivales, réunissant Capital et technocratie et qui repré¬sentent une menace fatale pour les habitants de cette terre et pour la planète elle même.

6) 1789 1989 : deux siècles de civilisation bourgeoise et capitaliste au sein de laquelle se sont formés les germes d’un cataclysme mondial. Les professionnels de la pensée fournissent des idéologies mystificatrices aux oligarchies économiques et politiques : complices de la « machine à broyer les hommes qui broiera tant qu’elle sera en fonc¬tion » (S. Weil).

7) « L’image désir » dans le Manifeste d’une révolution sociale, inévitablement engendrée par la production de travailleurs non plus isolés mais associés (?) relève plus de l’utopie que de la prévision scientifique.

8) Caractère normatif des annonces faites en 1848 (dont on dégage des règles ou des préceptes, qui établit une norme, critère auquel se réfère tout jugement de valeur en matière esthétique ou morale). La passivité et l’inconscience attribués par Marx à la seule bourgeoisie sont aussi le vice de cette « immense majorité » qu’il désigne en 1848 par le terme de « prolétariat », et qui se trouve aujourd’hui livrée aux mass media, instruments suprêmes de la domination oligarchique. Le monde d’aujourd’hui se caractérise par une pléthore de moyens exterminateurs et l’absence de la masse de ces « fos¬soyeurs » prévue par Marx

9) Aucun penseur du XIX° siècle n’a prévu la possibilité de l’anéantissement de l’espèce par le développement même des progrès techniques aux mains d’une minorité de maîtres paranoïdes dont la raison est partiellement troublée.
Donc, ne plus spéculer sur des principes « marxistes ».

En dehors de la vie du groupe et bien qu’écrasé par son travail éditorial, ses recherches et sa correspondance, Maxime a toujours su entretenir avec chacun de ses amis des rapports personnels riches et affectueux.
Soutien attentif, il a pris le temps de lire notre manuscrit sur le Viêt nam et de nous communiquer des documents... Et moins d’un an avant de nous quitter, c’est ainsi que Maxime me dédicace son Karl Marx, (Oeuvres politiques, l)

Mon cher Van, Ce serait un geste de vraie camaraderie si tu voulais m’accompagner dans mes divagations « apocalyptiques » dans l’introduction de ce gros volume (surtout à la page XCIII à la fin). Je regrette l’absence de Sophie...
à toi, le 7. 4. 95
Maxime

Dans cet « accompagnement » passionnant, j’essaie de retenir l’essentiel de ce qu’a voulu transmettre Maxime, hanté par le spectre de l’apocalypse nucléaire, mais tou¬jours inflexiblement fidèle à l’utopie...

« Le dix neuvième siècle eut ses témoins de la vérité, le nôtre ignore encore les siens. Marx, Kierkegaard, Poe, Rimbaud, Dostoïevski furent les accusateurs impitoyables de leur temps qui les immolait... » (Maximilien Rubel, Postface à La Légende du Grand Inquisiteur de F. M. Dostoïevski, Paris, 1946).

A notre ami Maxime, témoin de la vérité.
Paris, le 6 février 1997.

En guise de post scriptum

Maxime nous écrit de chez Willy Kessler Washington, le 21 avril 1961

[...] Ici, les bâtiments officiels symbolisent la puis¬sance du capital et de la bureaucratie politique des USA. je ne me sens chez moi seulement, lorsque je visite les musées et les bibliothèques. Parfois je m’arrête devant un chantier, on construit beaucoup et cela permet de compléter l’image qu’on ne peut pas ne pas se faire de la place que les noirs occupent dans ce pays. A l’Université de Columbia (NY) j’ai déjeuné avec des « collègues » au Club des Profes¬seurs. Tous les garçons, sans exception, étaient des noirs habillés de vestons blancs, ils portaient tous les insignes de la « Columbia University ». Les profes-seurs « blancs » (c. à d. l’élite intellectuelle) se faisant servir comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Lorsque j’en faisais l’observation à un de mes commensaux, il me répondit tout tranquillement qu’il y avait quelque vérité dans la théorie des races élues et damnées : j’ai coupé court à la conversation devant le cynisme et le bavardage de ce vaniteux membre de l’intelligentsia américaine, grand admi¬rateur de la France. [...]

Salue de ma part tous les amis. Bien cordialement à toi, Maxime.

Maxime en vacances près d’Hyères, nous écrit La Capte, le 23 août 1961.
[...] Le camp fourmille de gens de plusieurs natio¬nalités, mais chaque tente semble être un îlot pour soi, on est tous là, l’un près de l’autre, sans qu’une communauté quelconque en soit le résultat, bel échantillon d’une humanité sans humanité, avide de repos et de chaleur, de beau temps et de bonne nourriture. Tout cela semble normal. [...] Nous avons des moments qui doivent nous forcer à « repenser » nos problèmes, tous nos problèmes, ou peut être le seul et unique problème, celui de l’homme dans son développement, c’est à dire dans l’histoire et dans la société.
je suppose que tu as peu de loisir pour t’adonner à de semblable méditation, à moins que tes études chinoises ne te révèlent que tout cela est vieux comme le monde, que seules les formes changent dans lesquelles les hommes vivent leur vie d’ani¬maux doués d’esprit. [ ...]

Si tu vois nos camarades, dis leur le bonjour de ma part.

Bien cordialement à toi, Maxime.

P