Nico Berti
L’anarchisme dans l’histoire mais contre l’histoire

TEMPS HISTORIQUES ET TEMPS REVOLUTIONNAIRES}

Le passage que nous venons d’esquisser et qu’on pourrait définir du point de vue idéologique comme un dépassement du classicisme en humanisme(34), essayons maintenant de le transformer en modèle théorique avant de le traduire en termes historiques. Selon nous, analyser ce passage signifie opérer une confrontation/affrontement entre TEMPS HISTORIQUES et TEMPS REVOLUTIONNAIRES. Avec les premiers sont présentes toutes les conditions DONNEES par la société du moment, avec les seconds, au contraire, toutes les conditions POSSIBLES, à partir de ces données, de la société future. Par conséquent. à l’intérieur des premiers sont également présentes toutes les forces historiques de l’ordre constitué ainsi que ces forces qui, tout en n’acceptant pas cet ordre, en ont théoriquement et idéologiquement assimilé la représentation formelle : le pouvoir. C’est pourquoi la représentation du monde - ou des conditions DONNEES — n’est pas seulement que le reflet des TEMPS HISTORIQUES mais aussi de leur représentation autoritaire. L’image de cette dernière est inévitablement l’image de la réalité et réciproquement.

De l’autre côté an contraire, le seul mouvement qui ait nié tout oela - en signifiant les conditions possibles comme absence de TOUT pouvoir, et donc en cherchant à superposer aux temps historiques les TEMPS REVOLUTIONN AIRES a évidemment été l’anarchisme. Non pas dans le sens d’une vision "chiliaste", c’est-à-dire d’une conception du monde soustraite au TEMPS et à l’ESPACE comme le voudrait Karl Mannheim(35), mais d’une représentation de ceux-ci incluse dans le cours du changement historique révolutionnaire : en d’autres termes, LE SUJET RECONNAIT LA REALITE POUR AUTANT QU’IL LA TRANSFORME.

Reconstituer la rencontre/affrontement entre ces deux pôles - TEMPS HISTORIQUES ! TEMPS RFVOLUTIONNAIRES (qui dans le mouvement socialiste représentaient respectivement le courant autoritaire et le courant libertaire) (36), c’est rechercher historiquement les points les plus hauts atteints par les masses opprimées dans leur tentative de forcer les premiers en faveur des seconds. Ces points sont la Révolution Russe et la Révolution espagnole. Celles-ci se distinguent par l’extension de la lutte et la qualité de quelques-uns de leurs épisodes : l’Ukraine et Cronstadt pour la première ; la Catalogne et Barcelone pour la seconde.

Nous pensons qu’il est nécessaire d’opérer une confrontation entre ces deux expressions pour mieux en comprendre la signification. Voyons d’abord en quoi se caractérise la Révolution Russe. Il faut tout de suite relever qu’elle n’est pas seulement le résultat d un travail révolutionnaire préparatoire, mais aussi le produit de certaines contingences historiques comme par exemple la guerre -, lesquelles sont plus la conséquence des contradictions du système capitaliste mondial que le résultat direct d’un mouvement subversif visant à les porter à un point de rupture. Dans son explosion quasi improvisée la Révolution russe anticipe donc en partie le mouvement révolutionnaire, présentant en cela une conséquence immédiate, à savoir une dimension spontanée imprévisible et IDEOLOGIQUEMENT NON ORIFNTEE(37). En effet, à la différence de la Révolution espagnole qui fut le résultat d’une longue tradition et d’une préparation anarchiste et anarcho-syndicaliste au sein des masses ouvrières et paysannes, la Révolution russe n’est que dans une faible mesure le résultat de ce genre de travail.

Cette REFERENCE ORGANISATIONNELLE SPECIFIQUE ne prenant pas racine dans les classes subalternes, le procès révolutionnaire se déroule certes de façon libertaire et autonome, mais non DANS UNE ORIENTATION libertaire et autonome. Il en résulte qu’après le coup d’état bolchevique d’Octobre 17, les masses tombèrent vite sous la dictature marxiste (à l’exception de cas isolés immédiatement réprimés) ou, par euphémisme, sous l’hégémonie de la classe ouvrière. La réalisation du communisme par abolition des classes et de l’Etat se plie donc ici aux échéances des TEMPS HISTORIQUES. Elle ne résulte donc plus des conditions POSSIBLES mais des conditions DONNEES, c’est à dire la guerre. l’encerclement de la Russie par les puissances occidentales, le danger contre-révolutionnaire intérieur, le faible développement des forces productives, l’éducation insuffisante des masses, etc. Les conditions DONNEES se sont maintenant transformées en conditions JUSTIFICATIVES : l’émancipation est renvoyée à plus tard, ou, toujours par euphémisme, à la maturation des TEMPS HISTORIQUES.

Par contre, l’Ukraine puis Cronstadt continuent à affirmer dans la Révolution russe les TEMPS REVOLUTIONNAIRES. Il y a toutefois une différence entre les deux : tandis que Cronstadt n’est que l’expression de la spontanéité libertaire IDEOLOGIQUEMENT NON ORIENTEE de la révolution (38), l’Ukraine au contraire représente une conscience idéologique précise et donc, à la différence de la première, une alternative organisée au pouvoir bolchevique. Cronstadt se présente comme REFUS DE LA GESTION DES TEMPS HISTORIQUES, l’Ukraine comme PROPOSITION DES TEMPS REVOLUTIONN AIRES. Il s’ensuit que l’anarchisme s’exprime sur deux plans différents. Dans le premier cas de manière informelle, dans le second de façon consciente ; Cronstadt représente l’action comme pensée, l’Ukraine la conscience idéologique de cette expression(39). De toute manière, tous deux présentent une faiblesse objective des TEMPS REVOLUTIONNAIRES de par le manque de ce point de référence spécifique dont nous avons parlé plus haut : un mouvement anarchiste solidement organisé et implanté historiquement dans les masses. L’échec de la révolution ne doit pas pour autant être imputé à celui-ci, mais à ce désavantage objectif (40).

Le cas de l’Espagne est tout à fait différent, sinon opposé. Contrairement à la Première Guerre Mondiale qui est une des causes de la Révolution russe, le coup d’Etat fasciste en Espagne n’est que la conséquence de la pression révolutionnaire des masses opprimées L’énorme travail de préparation effectué sur des dizaines d’années, travail de milliers et de milliers (le militants anarchistes anonymes, n’a pas été sans effet : la dimension de la spontanéité libertaire de la révolution est aussi le reflet d’une conscience et d’une orientation idéologique précises. LES PREMIERS MOIS REPRESENTENT L’ECHLANCE DES TEMPS REVOLUTIONNAIRES. C’est le point le plus haut atteint par l’homme au cours de sa lutte millénaire pour l’émancipation. La créativité autogestionnaire de la Catalogne, les collectivités d’Aragon et du Levant ne sont pas des épisodes sporadiques, mais l’expression du passage des TEMPS HISTORIQUES aux TEMPS REVOLUTIONNAIRES. Cette expression, c’est le peuple en armes. la guerre révolutionnaire, réalisation IMMEDIATE des conditions POSSIBLES : en somme, la construction sociale selon les échéances révolutionnaires(41).

On peut alors se demander pourquoi la Révolution espagnole a échoué. La suprématie militaire des fascistes et la trahison des staliniens sont-elles des causes et des explications suffisantes à cet échec ? Pas à notre avis. Il est exact que les TEMPS HISTORIQUES avaient dans les fascistes et les staliniens des représentants très qualifiés et objectivement alliés, les premiers représentant la condition historique du handicap (supériorité économique et militaire) et les seconds, la théorisation et la pratique idéologique de cet handicap (sabotage systématique de la Révolution sociale pour lutter sur le même plan que l’ennemi - une paille ! -). Il est vrai toutefois que le mouvement anarchiste espagnol vivait la possibilité matérielle de neutraliser ces derniers. Nous savons qu’il ne le fit pas car une partie de celui-ci finit par subordonner les TEMPS REVOLUTIONNAIRES aux TEMPS HISTORIQUES. Le choix de la guerre à la place de la révolution et la militarisation qui s’ensuivit, la subordination au front unique (lire : aux communistes) accompagnée de la renonciation aux acquis révolutionnaires. la passivité et l’inertie face au sabotage des collectivités par les staliniens, l’incroyable abandon des vérités anarchistes les plus élémentaires sur le rapport moyens fins - autrement dit l’absurde présence des anarchistes au gouvernement - en somme la considération selon laquelle il fallait renvoyer à plus tard la réalisation du projet anarchiste. voilà les échéances des TEMPS HISTORIQUES qu’une partie du mouvement anarchiste accepta en refusant de jouer jusqu’au bout la logique des TEMPS REVOLUTIONNAIRES (42).

Si les raisons de l’échec de la Révolution russe doivent être recherchées dans l’analyse des conditions objectives du CONTEXTE GENE RAL - puisque l’anarchisme ne représente qu’une partie de ce contexte (en d’autre termes, le sujet révolutionnaire ne représentant pas à lui seul toute l’objectivité de la situation) - les raisons de l’échec de la Révolution espagnole, au contraire, doivent surtout être cherchées dans l’anarchisme, celui-ci ayant dramatiquement exprimé EN SON PROPRE SEIN les deux TEMPS qui, dans la Révolution russe, se tenaient face à face dans deux camps opposés. Mais que signifient ces considérations au niveau d’une compréhension et d’une définition historique de l’anarchisme ? Comment et où se situent-elles dans notre recherche d’une EXPLICATION INTERNE du sujet historique à l’examen ?

L’ANARCHISME COMME SUJET HISTORIQUE NON MODIFIABLE

Pour répondre à ces questions, il faudrait selon nous dégager et éclaircir la NATURE HISTORIQUE de l’anarchisme. C’est justement de cette apparente contradiction formelle entre deux termes (la nature exprimant presque une idée de répétitivité et l’histoire celle du changement), c’est donc de ce jeu de mots contradictoire qu’il est possible de partir pour une explication utilisant analogiquement cette expression. A la différence de tout autre mouvement politique et social, l’anarchisme, au cours de son développement historique, N’EN EST JAMAIS VENU A MODIFIER OU A REMPLACER SES FINA LITES ORIGINELLES. Il a toujours été présent à l’histoire, c’est-à-dire comme sujet historique non modifiable : en cela réside tout son "extrémisme". Cela ne l’a pas empêché de croître et se modifier puisque cette croissance et cette modification ont surtout concerné son interlocuteur historique. Ayant de tous temps été l’interlocuteur des masses opprimées, l’anarchisme a évolué et s’est modifié à mesure que le tissu historique, social, politique, ethnologique de celle-ci s’est transformé. Des ouvriers parisiens de la Commune aux artisans suisses du Jura, des paysans d’Andalousie aux ouvriers catalans, des moujiks russes aux ouvriers de l’I.W.W., l’anarchisme, alors qu’il évolue HISTORIQUEMENT en fonction des sujets historiques représentés (d’où son pluralisme), reste IDEOLOGIQUEMENT identique à lui-même quant à l’objectif final (d’où son "utopisme" ) : l’émancipation intégrale.

Cette définition peut sembler passablement schématique, et elle l’est sil’on regarde te près certains événements (il suffit de penser à l’entrée de quelques "anarchistes" espagnols au gouvernement), mais elle reste valable Si l’on considère globalement le cours du développement historique de l’anarchisme. Dans ce cas, la continuité apparaît linéaire. ininterrompue. Du reste, c’est la seule méthode valable pour une historiographie de l’anarchisme, car c’est la seule à donner un critère permettant d’évaluer la cohérence théorique (le ce dernier par rapport à son action historique. A l’intérieur même de cette dimension, on doit également mesurer celle relative au rapport entre mouvement anarchiste et contexte historique général, dans la mesure où ce dernier est plus un élément permettant de QUANTIFIER la perspective historique, alors que 1’ anarchisme au contraire permet de QUALIFIER, dans cette quantification, les moments répétés de passage des temps historiques aux temps révolutionnaires. En dernière analyse. le point de référence reste toujours l’action historique de l’anarchisme. Et. en vertu de la considération exposée plus haut, il le reste pour N’AVOIR PAS REMPLACE OU MODIFIE SES FINALITES ORIGINELLES AU COURS DE SON DEVELOPPEMENT HISTORIQUE. En somme pour avoir proposé, dans la praxis de la POSSIBILITE PROJECTUELLE, l’explication et la réalisation du changement historique en fonction des besoins des masses opprimées : la libération de toutes leurs capacités créatrices à travers l’affirmation que n’est pas protagoniste de l’histoire une classe en particulier, mais LA PRATIQUE REVOLUTIONNAIRE, LIBRE ET EGALITAIRE DE CELLE-CI. En se présentant ces cent dernières années comme un spectre identique à lui-même, l’anarchisme nous a fait voir les multiples couleurs de l’exploitation et de l’inégalité qui se sont réfractées dans sa continuité.

Nico BERTI -

NOTES

1) E. Santarelli, "Il Socialismo Anarchico in Italia", Feltrinelli, Milan, 1973. Santarelli écrit plus haut "Avant tout, se pose la question de la légitimité d’une histoire de l’anarchisme. Est-il possible de concevoir l’histoire d’une idée et d’un mouvement qui nient sous la forme utopique et la Société capitaliste et, après 1917, la nouvelle société socialiste ?" ibid. Santarelli conclut en affirmant que seul le marxisme est à même d’expliquer l’histoire de l’anarchisme (ibid., p. 231).

2) Voir, par exemple, les interprétations contradictoires de Gian-Maro Bravo. Celui-ci écrit d’abord qu’il est "erroné de ne voir dans l’anarchisme que le "romanesque", le lien avec l’arriération économique" cf. GM. Bravo : "GIi Anarchici, Utet, Turin, 1971, p.14) puis, après quelques mois, il affirme :

3) J.JOlI : Gli Anarchici, Il Saggiatore Il, 1970, p.11

4) G.Woodcock "L’Anarchia. Storia delle ldee e dei Movimenti Libertari", Feltrinelli, Milan, 1966, p.41b Sur ces interprétations, voir la critique de Daniel Guérin dans "L’Anarchismo dalla Dottrine all’azione" , Samona e Savelli, Rome, 1969, pp.167-168.

5) G.Woodcock op. cît., p.415.

6) J. Joll op. cit , p.19.

7) JolI écrit encore : " Les anarchistes s’accordent à supposer que dans la société nouvelle régneront une simplicité et une frugalité extrêmes, et que les hommes seront heureux de se débarrasser des conquêtes techniques de l’ère industrielle : leur pensée semble souvent se fonder sur la vision romantique et traditionaliste d’une société perdue, d’un monde idéalisé d’artisans et de paysans, ainsi que sur la condamnation irrévocable de l’organisation sociale et économique contemporaines, ibidem, p.360.

A ces thèses superficielles, on peut opposer par exemple la conception kropotkinienne, compIexe et raffinée, de Ia technologie mise en relief par le sociologue et urbaniste américain Lewis Mumford. Cf. Muinford : (La Citta Nella Storia", Comunita, Milan, 1964, pp.639640.

N.D.T. : édition française : "La Cité à travers l’Histoire", Le Seuil, Paris, 1964). Sur le même argument, voir également I’essai de C. Dogue : "L’Equivoco della CittaGiardinoe, RL, Naples, 1953, pp.33.34. (Nouvelle édition Crescita Politica, Florence, 1974).

8) TeIIe est généralement la thèse de fond de l’historiographie courante, marxiste et non marxiste.

Pour l’Italie voir à ce propos E Conti "Le Origini de Socialismo a Firenze", Rinascita, Rome, 1950, pp 144145 F Della Peruta "Democrazia e Socialismo nel Risorgimento", Editori Riuniti, Pom, 19/3 p 28h G Trevisiani "Storia del Movimento Operaio Italiano. Dalla Prima lnternzionele a Fine Secolo" Avanti Milan, 1960, vol. Il, p.117 ; A Rumano : "Storia del Movimento socialiste in ltel’a Testi e Documenti. 1861-1882i,Laterza, Ban, 1967, vol. III, p.433 ; pour l’Espagne , voir l’ensemble du point de vue de Gerald Brenan dans sa "Storia della Spagna" -1874 1936-< Einaudi Turin 1910, pp.128-192, où l’anarchisme est considéré comme une représentation renversée dans un sens révolutionnaire des plus profondes traditions ibériques ;

AIdo Garosci lit la genèse de l’anarchisme espagnol dans le manque d’un rapport organique entre le peuple et l’Etat qui en maintenant certaines structures médiévales, restait en dehors de la vie moderne d’ou l’esprit de rébellion et I’extranéité des classes subalternes à l’égard du pouvoir. Indirectement on pourrait également dire ici que l’anarchisme nait d’une arriération socio-politique. Cf. A.Garosci "Problemi dell’ Anarchismo Spagnolo", in "Anarchici e Anarchia nel Mondo contemporaneo" Fondation Luigi Emaudi, Turin, 1971, pp.59,60,61.

9) Pas besoin d’étayer cette thèse quand on pense que la Commune de Paris tomba justement à cause de I’indifférence des masses paysannes et du manque de liens avec celle-ci. Les "Lettres à un Français" de Bakounine en restent un dramatique témoignage. Cf. M. Bakounine : "Lettres à un Français sur la Crise actuelle ", in M. Bakounine. œuvres, Stock, Paris, 1907, pp.71-284. Voir de toute façon ce que Edouard Dolléans écrit sur la prépondérance des proudhoniens et, plus généralement, des "communistes non autoritaires dans la Commune (cf. E. Dolléant : "Storia de Movimento Operaio", Edîzioni Leonardo, Rome, 1946, vol. I, p.4041, laquelle fut le résultat de la diffusion du socialisme dans la classe ouvrière urbaine : cf. J. Bruhat, J. Dautry, E.Tersen "La Commune de 1871", Editions Sociales, Paris, 1960, pp.25-30.

Même après Ia Première Internationale, l’anarchisme français ne perdra pas ce caractère. Il suffit de penser à l’essor de l’anarcho-syndicalisme qui trouvait ses racines dans la classe ouvrière. A ce propos, voir J. Julliard : "Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directes, Le Seuil, Paris, 1971. pp. 117-262 ; et le texte classique du même Pelloutier : "Histoire des Bourses du Travail, Gordon et Breach, Paris, 1971.

10) Celui-ci écrit que l’implantation de l’anarchisme italien est à rechercher au "sud de l’Apennin toscano-émilien. Cette ligne constituera toujours, grosso modo, un élément de distinction entre une société capitaliste évoluée et une société arriérée" . Cf. Sentarelli : "Il Socialismo Anarchicos..., p.26. Cette opinion doit être quelque peu remaniée. Surtout en ce qui concerne les années 80, l’anarchisme italien présente une distribution géographique assez homogène et uniforme. Pour la période de la Première Internationale, voir à ce propos le rapport du Préfet de police de Rome relatif au "nombre des sections formant la Federazione Italiana", Cf. Archivin tii Stato di Roma, No 771 Gabinetto, Questura della città e circondano di Roma, dans le fasc. "Prefetture 1874e, Pros. 164, No 2. Voir aussi, toujours pour la période de la Première Internationale, l’analyse de la répartition sociale de ses adhérents faite par Pier-Carlo Matini dans "Le Prima Internazionale in Italia. Problemi di una Revisione Storiografica", in AA.VV. : "Il Movimento Operajo e Socialista. Bilancio storiografico e Problemi Storici", Edîzione del Gallo, Milan, 1965, pp. 95113. Cette analyse démontre l’erreur des interprétations sociologiques qui veulent que l’anarchisme italien soit une expression de la petite bourgeoisie, des "" et des marginaux sociaux. Dans la foulée, voir également la reconstitution faite par Letterio Brîgugîlo des forces anarchistes opérant en Italie dans les années 80, in "Il Partito Operaio Italiano e Gli Anarchici", Edizioni di Storia e Letteratura, Rome. 1969, pp,1522.

11) On peut relever une interprétation indirecte de ce que nous soutenons en lisant ce qu’écrit Luigi Lotti" sur I’essoufflement du mouvement anarchiste italien dans les années précédant la Semaine Rouge. Cette situation changea rapidement à partir des années 1911-1912 parce que commença justement à se manifester ce climat révolutionnaire qui déboucha, en 1914, sur les journées insurectionnelles de Juin. Cf. L. Losti "La Settimana Rossa", Felice Le Monnier,, Florence 1965, pp.-l-10. On peut faire la même remarque pour le mouvement anarchiste russe qui était encore plus faible dans les années précédant la révolution. Cf. Voline : "La Résolution Inconnue", Belfond, Paris, 1972, vol., p.61.

12) En ce qui concerne I’Italie, voir l’essai de F. Della Peruta : "La Banda de Matese e il Fallimento della Moderna Jacquerie in Italie", in "Movimento Operalo", Milan, Anno VI, Nuova Serie No 3, Mai Juin 1954 pp. 339-340. Au contraire, Pier-Carlo Masini affirme justement que les internationalistes ne s’illusionnaient pas sur la possibilité de faire éclater une révolte paysanne, ils voulaient seulemert donner un exemple. En outre, le choix du midi ne fut pas tant dicté par une quelconque vocation stratégique de celui-ci que par des considérations tactiques sur le potentiel révolutionnaire présent dans le Mezzogiorno à ce moment-là. Rappelons qu’une tentative du même genre avait été faite à Bologne trois ans auparavant : donc aucune vocation révolutionnaire paysanne particulière N.D.T. : les sources disponibles en francais sur la tentative d’insurrection bolognaise et sur la "Bande du Matese" Sont quasi inexistantes.

Signalons toutefois le bouquin de Bacchili qui, en dépit de son orientation tendancieuse, fournit nombre d’indications relativement intéressantes. Cf. Riccardo Bacchelli : "La Folie Bakounine Julliard Paris 1973 I Voir P.C. Masini :"Gli Intemazionalisti. La Banda del Matese (1876 1878) editions Avanti rome Milan 1958, pp.55-57. Pour l’Espagne, il y a la fameuse thèse de Hobsbawn sur l’amalgame anarchisme/arriération socio-économique (cf. R- Hobsbawn :

"I ribelli" Einaudi Turin 1966 pp.116 -117 totalement réfutée par celle de René Lamberet qui soutient que les zones ou se développa l’anarchisme étaient les "plus évoluées" d’Espagne. Cf. R. Lamberet "Les travailleurs espagnols et leur conception de l’anarchie de 1868 au début du XX. siècles, in "Anarchici e Anarchia ", p. 791. A propos des événements de 1873, Miklos Molnar affirme tout bonnement que ceux-ci échouèrent parce que l’anarchisme ibérique avait un caractère trop urbain et ouvrier par rapport aux besoins des paysans et des ouvriers agricoles. Voir M. Molnar "A propos de l’insurrection cantonaliste de 1873 en Espagne, l’attitude des anarchistes et la critique d’Engels ", in Anarchici e Anarchia,,.", p.1Ool. Molnar soutient tout le contraire de ce qu’affirme Hobsbawn dans le sillage d’Engels.

13) J. Rougerie. "Composition d’une population insurgée. L’exemple de la Commune", in "Le Mouvement Social, No 48, Paria, 1964.

14) C’est le type d’historiographie qui reconstitue l’anarchisme a travers les faits sensationnels. Des exemples récents nous sont fournis par R. Kramer-Badoni : "Anarchia, Passato e Presente di un’ Utopia". Bietti, Milan, 1972 ; R. Manevy et P. Diole : "Sous les plis du Drapeau Noir. Le Drame de l’Anarchie", Domat, Paris, 1949 ; G. Guilleminalt - A. Mahé : Storia delI’ Anarchia " Vallecchî, Florence, 1974.

15) C’est une question Importante laissée en suspens par Max Nettlau. Le découpage historiographique de ses œuvres est fondé sur un développement en soi cohérent mais dépourvu de liens Organiques avec l’histoire générale. Cette interprétation "Subjectiviste", exemplaire du point de vue de la vérification continuelle entre doctrine et action, - l’une expliquant l’autre et réciproquement -, nous l’adoptons totalement. Cette position doit cependant s’ouvrir de la façon indiquée plus haut, c’est-à-dire par élargissement du point de vue "subjectiviste". Pour Max Nettlau, voir les sources suivantes : M. Nettlau : "Breve Storia delI’ Anarchismo", L’Antistato, Cetena, 1964 N.D.T. : en français : "Histoire de l’Anarchie", Ed. de la Tète de Feuilles, 19711 ; M. Nettlau : "Bakunin e l’lnternazionale in Italia dal 1864 al 1872", Edizioni del Risveglio, Ginevra, 1928 (réédité par Samona e Savelli, Rome, 1970" ; M. Nettlau : "Errico Malatesta", Il Martelle, New York, s.d. ; M. Netllau : "La Première Internationale en Espagne (18681888>, Dordrecht-Hollande, 1971.

16) Pour la forme organisationnelle des Bourses du Travail, cf. F. Pelloutier : "Histoire des Bourses du Travail", pp.283, 295.

17) Le même discours a également une certaine valeur analogique pour l’USI, l’Union Syndicale Italienne. Organisation de coloration anarchiste très active jusqu’à l’arrivée de Mussolini au pouvoir. Elle comptait près de 500000 membres en 1922. N.D.T. Récemment, Maurizio Antonioli et Brune Bezza ont écrit avec justesse qu’on pouvait y relever deux modèles contradictoires. Le premier, anarchiste, est opposé "à la logique même du capitalisme centralisateur, de plus en plus assimilable à l’Etat", le second au contraire, syndicaliste révolutionnaire, accepte "le modèle de développement capitaliste en vue de la prise en main de la gestion de la production par la classe ouvrière". Par contre, nous ne concordons pas pour voir dans le modèle anarchiste le point faible de l’USl ; pour nous c’est évidemment le contraire, Cf. M. Antonioli - B. Bezza : "Note sul Sindacalismo Industriale in Italia : Filippo Corridoni e la eRiforma della Tecnica Sindacale", in "Primo Maggior" No 2, Octobre 1973 - Janvier 1974, p. 33 et p. 38.

18) Ce problème historiographique très important a été soulevé récemment par Carmela Metelli di Lallo dans : "Componenti Anarchiche nel Pensiero di J.J. Rousseau", La Nuova italia, Florence, i R70, pp. 28-30

19) Voir D. Guérin "Le Marxisme libertaire", in "Anarchici e Anarchia", pp. 442-457 ; Guérin soutient dans cet essai qu’il y a une convergence théorique et pratique entre l’enseignement marxiste authentique et la pensée anarchiste. Le discours, qui s’appuie plus sur des affirmations que sur des démonstrations se présentant donc comme une proposition pratique plutôt qu’une considération théorique " le marxiste libertaire n’est pas un exégète, mais un militant", P. 448> -, se fonde sur la constatation de la communauté des objectifs finaux. Pour étayer cette opinion, il donne pour exemple l’identité des jugements de Marx et Bakounine sur la Commune de Paris. Cela lui permet de passer par dessus la signification opérationnelle de l’idée marxiste de l’extinction de l’Etat ainsi que son antipode anarchiste de l’abolition de l’Etat. Cf. M. Roberti : "L’lmpossibile Suicidios", in "Rivista Anarchicat", Anno IV, No 5, Juin-Juillet 1974, Milan. Toujours sur la problématique du "marxisme-liber-taire", il serait utile de consulter l’essai de Giuseppe Rose qui met en évidence toutes les incongruités de cette synthèse. Cl. G. Rose : "Le Aporie del Marxismo Libertarlo", RL, Pistola, i 971.

20) Prenons par exemple le jugement général de l’historiographie marxiste tendant a dénier toute validité scientifique à la pensée de Bakounine. Sur quoi ce jugement se base-t-il ? En grande partie sur le discours de Bakounine au Congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté à Berne en Septembre 1868. bans ce discours, il aurait plusieurs fois affirmé vouloir "l’égalité des classes". Bien ; voyons donc ce que Bakounine a réellement dit et fait imprimer (d’abord dans le " Kolokol", puis dans les "Mémoires" rie la Fédération Jurassienne> : "Je veux la suppression des classes, tant dans les rapports économiques et sociaux que politiques ... Il faut que tous les hommes soient en même temps intelligents et travailleurs et que fous puissent vivre également de leur cerveau comme de leurs bras, Alors, Messieurs, alors seulement, l’égalité et la liberté politique deviendront une vérité. Voilà donc ce que nous entendons par "égalité des classes") Il aurait mieux valu dire Ia suppression des classes, l’unification de la société par abolition de l’inégalité économique et sociale. Mais nous avons aussi demandé l’EGALISATION DES INDIVIDUS, et c’est surtout cela qui nous attire maintenant toutes les foudres." cf. M. Bakounine" Discours au Congrès de Berne de la Ligue de la Paix et de la Liberté ",,in M. Bakounine "La Comune e lo Stato", Libreria editrice Tempi Nuovi , Milan, 1921, pp. 67-60 et suivt. Analysons un moment ces propositions. Bakounine affirme avant tout vouloir " la suppression des classes" , terme qui équivaut substantiellement a celui d’abolition. Mais tout de suite après il explique que l’expression "Egalité des classes", quoiqu’en sachant qu’elle n’est pas rigoureusement correcte si bien qu’il dit lui-même : "il aurait mieux valu dire la suppression", est presque due à une homologie verbale avec cette autre proposition qui veut l’égalité des individus. Maintenant, il faut se demander pourquoi Bakounine fait cette affirmation. Parce qu’il ne se contente pas de l’expression "suppression des classes" mais vaut aussi l’égalité des individus ? Il semble que la réponse est claire : la ponctualité bakounienne découle de la nécessité théorique de préciser qu’au delà de l’abolition "ou suppression" des classes - ou bien, marxistement, de l’égalité de tous devant la propriété, il y a le problème, après cette première égalité, de créer celle devant le travail, laquelle s’obtient en mettant tous les individus dans les mêmes conditions matérielles de manière à ce qu’ils "puissent vivre également de leur cerveau comme de leurs bras". Si la suppression des classes appartient à la phase de destruction du capitalisme, l’égalité des individus appartient à la phase de construction du socialisme, lequel ne nait pas automatiquement de la suppression du premier. D’où une lecture bakounienne des classes qui, en expliquant l’insuffisance théorique marxienne à cet égard. tend à les ramener à la racine structurelle de l’inégalité : la division du travail. Maintenant, face à la très gronde conscience scientifique de Bakounine qui tend à démontrer que la division des classes se reproduit automatiquement si l’on ne détruit pas la racine structurelle ( la division du travail*), et donc que l’égalité de tous dépend de l’intégration de ce dernier (à travers l’activité manuelle et intellectuelle simultanée), donc face à cette très grande conscience, les marxistes dogmatiques et non dogmatiques dégoisent des critiques approximatives et des appréciations pathétiques. Voir à ce propos ce qu’écrivent Antonio Bernieri, Gian-Marlo Bravo et Wolfgang Harich, pour n’en citer que quelques-uns. Pour Bernieri, cf. la préface à F. Engels : "L’lnternazionale e gli Anarchici", Editori Riunitî, Rome, 1965, p.8 en particulier ; pour Bravo, cf. la préface à Marx-Engels : "Marxismo e Anarchismo", Editori Riuniti, Rome, 1971 ; quant à Harich, nous renvoyons À son livre "Critica deil’ lmpazienza Rivolutionariai", Milan, Feltrinelli, 1972, p.64. Nous devons cependant constater une sous-évaluation de la pensée de Bakounine même de la part de quelques libertaires. C’est le cas de Marianne Enckeli, qui a écrit à la p.121 de la revue Interrogation (No I) :" Les instruments d’analyse, la méthode sociologique et économique, qui appartiennent aux problématiques actuelles, c’est chez Marx que nous les trouvons, c’est avec lui ou contre lui que nous pouvons exercer notre critique, en laissent de côté ses propositions tactiques et ses comportements autoritaires. Chez Bakounine, chez les anarchistes, on trouve d’autres choses : le diable au corps, et une abondance d’idées subversives." Bref, pour comprendre la techno-bureaucratie d’aujourd’hui, plutôt que d’aller lire les pages quasi prophétiques de Bakounine sur "Etat et Anarchie", selon Enckell on doit évidemment lire celles de Marx qui ironiseraient sur ces anticipations (cf. K. Marx : "Comment Critici a "Stato e Anarchie", n K. Marx - F. Engels : "Critico delI’ Anarchismo", Emaudi, Turin, 1972, pp.351-367.

*) Dans le schéma marxien, l’intégration du travail intellectuel et du travail manuel dans chaque individu est présente dans les fins (voir ces points dans les "Manuscrits de 1844", sur le "Manifeste du Parti Communiste", et surtout dans "L’Idéologie Allemande" mais non dans les moyens et ne constitue donc pas un élément fondamental du processus révolutionnaire. Toute la "dégénérescence historique" du marxisme est potentiellement contenue dans la contradiction théorique entre fins et moyens.)

21) J. Maitron : "Histoire du Mouvement Anarchiste en France "166O 1914", Société universitaire d’éditions et de librairie, Paris, 1951, p.319 (réédition chez Maspéro, 2vol., 1975>,

22) Ibidem.

23) Indiquons à cet égard que l’historiographie marxiste et non marxiste n’a pas saisi dans se signification authentique l’opposition anarchiste à la Conférence de Londres. L’opposition, en effet, ne découlait pas seulement du rapport méthodologique avec les principes de l’Abstentionnisme Politique, mais aussi des raisons exposées ci-dessus. Ainsi ni Cole, ni Molnar, ni Arru, pour ne citer que ces trois exemples, ne semblent avoir saisi les termes réels du probléme. Cf. G. D.H. Cole : "Storia del Pensiero Socialista : Mar"ismo e Anarchîsmo", Laterza, Ban, 1967, vol. Il, pp. 224-225 ; M. Moînar : "Le Déclin de la Première Internationale. La Conférence de Londres de 1671", Droz, Genève, 1963, p. 99 : en surévaluant la tendance parlementaire marxiste, Molnar déplace le discours historique sur un plan trop idéologique et fait donc indirectement apparaître l’opposition anarchiste comme une simple opposition de principe ; A. Arru : "Classe e Partito nella Prima Internazionale", De Donato, Ban, 1972, pp.37-76. Cette dernière non seulement renverse les données du problème mais aussi le sens des intentions bakouniennes. Le discours de Leo Valiani est différent qui explique que face aux partis politiques démocratiques tirant leur consistance de l’influence de la Révolution française, "le mouvement socialiste ne trouve d’autre forme pratique de différenciation que dans la renonciation à œuvrer avec ceux-ci sur le terrain politique et dans l’opposition à ceux-ci d’une négation totale et absolue de la politique, position spécieuse en théorie, cartes, mais en pratique inévitable à cette époque". Bien qu’il interprète correctement le faît dans son processus historique. Valiani néglige et sous-évalue les développements historiques de cette intransigeance qui ne disparaît pas avec le passage du mouvement socialiste d’inspiration marxiste sur le terrain parlementaire. Les raisons idéologiques de l’abstentionnisme furent aussi un produit des contingences historiques du moment mais ne finirent pas avec celui-ci. Cf. L. Valiani : "Considerazioni su Anarchismo e Marxismo in Italia e in Europa dopo la Conferenza di Rimini", in AA.VV. : "Anarchismo e Socialismo in Italia (1872-1692">, Editori Riuniti, Rome, 1973, p. 146.

24) Par exemple, Joaquin Romero-Maura a récemment écrit que l’anarcho-syndicalisme espagnol naquit et prospéra dans les premières années de ce siècle sans l’apport spécifique des syndicalistes. C’est par cette faiblesse de la composante syndicale et par contre, par la prépondérance de l’élément idéologique anarchiste (les organisateurs ouvriers étaient tous des militants anarchistes) que Romero-Maura explique la différence avec l’anarcho-syndicalisme français qui présentait exactement les caractères opposés. Selon nous, les conséquences sont facilement décelables : tandis que le premier maintint toujours fermement le but idéologique de son action - en vertu de l’orientation anarchiste initialement imprimée - le second dégénéra au bout de quelques années en syndicalisme pur d’inspiration sorélienne, perdant dans cette dégénérescence toute sa force offensive et organisationnelle. Cf. J. Romero Maura" : "Les Origines de l’Anarcho syndicalisme en Catalogne", in "Anarchici e Ananchia", pp.1 1 5-117. Sur l’orientation explicitement anarchiste de la CNT, voir également ce qu’en écrit son meilleur historien : cf. J. Peirats : "La C.N.T. en la Revolucion Espanola", Ruedo Iberico, Paris, 1969, tome I, p.21. Toutefois, cela n’empêcha pas quelques graves déviations, même avant l’entrée des anarchistes au gouvernement "n 1936-37. Pour comprendre l’orientation théorique des anarcho-syndicalistes français et leur parabole vers le sorélisme, outre le débat Monatte-Malatesta ("Compte-rendu du Congrès Général Anarchiste d’Amsterdam", Paterson, N.J., s.d., pp. 14 et suiv.), voir ce qu’écrit Christian de Goustine sur l’évolution de la pensée de Pouget. Cf. Ch. de Goustine : "Pouget. Les matins noirs du Syndicalisme", Ed. de la Tête de Feuilles, 1972, pp. 85 & 132. Evolution que marque la tentative d’inclure historiquement l’idéologie anarchiste à l’intérieur d’un rapport qui voit la centralité de l’affrontement entre classe ouvrière et capital.

25) T. Tomasi ; Idéologie Libertarie e Formazione Umana", La Nuova Italia, Florence, 1973, p. I. IN.d.T. : voir également H.M. Enzensberger : "Le bref été de l’Anarchie", Gallimard, Paris, 1975, pp. 12 à 161.

26) Dans son introduction à sa "Bibliographie de l’Anarchie" (Stock, Paris, 1897, p. X), Max Nettlau pose en passant le problème d’une reconstitution historique de l’action de ces militants qui "par hasard, n’ont laissé que peu de traces littéraires".

27) En France, cette lacune a été comblée en partie par l’initiative de Jean Maitron. Cf. "Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français", publié sous la direction de Jean Maitron, I. partie : "17801864. De la Révolution française à la Fondation de la Première Internationale", vol. l à III, Paris, 1964-1966 ; Il. partie : 186 1871. "La Première Internationale et la Commune", vol, IV à IX, Paris, 1967-71(N.D.T. : signalons également la réédition récente de I’ "Encyclopédie Anarchiste" par le groupe Sébastien Faure de Bordeaux ).

28) Réaffirmons ici que par explication interne nous entendons une interprétation qui suive la continuité historique du mouvement dans la mesure où celui-ci réalise dans la pratique ses présupposés idéologiques. De cette façon, ceux-ci deviennent un critère de jugement de l’action et l’action un critère de valeur pour ceux-ci ; on ne peut faire une critique historique du mouvement anarchiste que de cette manière. En outre, la reconstitution du milieu, des sentiments, du climat spirituel et politique requiert elle aussi une très grande habileté philologique et une certaine sensibilité historique et culturelle, mais également une "identifications qui, comme l’a écrit fort justement Jean Maitron, ne peut se produire qu’en fréquentant longuement le milieu anarchiste". Cf. J. Maitron : "Histoire du Mouvement anarchiste",,. a, p. 423. Pour ce dernier aspect, c’est-à-dire pour une reconstitution rigoureuse du milieu, des sentiments et du climat spirituel et politique, consulter les œuvres de Pier-Carlo Masini qui en ce sens nous paraissent les seules vraiment réussies. Cf. P.C. Masini : "Storia" degli Anarchici Italiani da Bakunin a Malatesta", Rizzoli, Milan, 1969 ; idem : "Cafiero", Rîzzoli, Milan, 1974.

29) Toutefois, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec ce que Gianni Bosio écrivait il y a quelque temps sur le spontanéisme " qui est la face cachée du conditionnement objectif", Nous reconnaissons parfaitement que quelques-unes de ces formes peuvent l’être, mais telle reste toujours la voie pour arriver a. cette perspective d’en bas dont parle Lefebvre. Cf. G. Bosio : "Iniziative e Correnti negli Studdi di Storia de Movîmento Operalo 1945-1962", in AA.VV. : "Il Movimento Operaio e Socialista..." page 45.

30) Ce dernier point a occasionné quelques curiosités au niveau de l’interprétation dans la récente historiographie extra-parlementaire. C’est le cas de Renzo del Carria qui, dans son "Proletari senza Rivoluzione " Edizînni Orienta, Milan, 1972>, soutient la thèse selon laquelle la spontanéité n’a rien rendu en Italie en raison de la gestion "révisionniste" de la classe dirigeante du mouvement ouvrier. Tandis qu’avec une direction "revolutionnaire"... Evidemment, le problème est au contraire de voir dans quelle mesure et comment cette spontanéité n’a pas réussi à forcer les limites institutionnelle du pouvoir capitaliste comme des organisations politiques et syndicales.

31) En tenant toujours compte de la perspective historiographique de Max Nettlau sur la constatation objective du fait que seul "un nombre plus ou moins grand d’individus" (et non les masses, par conséquent) est facteur de changement historique (cf. M. Nettlau : "Bakunin e I’Intemazionale,.., p.> le mouvement anarchiste fut, et resta, une minorité parmi les minorités il faut également dire que cette perspective doit être proportionnellement élargie dans la mesure où la pratique révolutionnaire de quelques-uns s’étend à des groupes et à des collectivités. En ce sens, la "prise de conscience n’est pas proportionnelle au développement socio-économique mais à "l’entraînement révolutionnaire la "degré de conscience> des paysans pauvres d’Andalousie était bien différent de celui des ouvriers de Berlin et de Londres, encadrés respectivement par la social-démocratie allemande et le trade-unionisme anglais.

32) Essayons par exempte de dégager la signification de l’action anti-militariste, action qui exprime une conscience théorique propre coïncidant avec (voire anticipant) l’histoire, Pourquoi l’antimilitarisme présent dés le début de la Première Internationale comme point idéologique implicite dans sa pratique, ne se développe-t-il que dans les premières années du XX. siècle ? Pourquoi ne se fait-il pas histoire avant, sinon dans des déclarations de principe et dans la pratique révolutionnaire de quelques militants isolés ? Pourquoi, en somme, ne se fait-il lutte sociale qu’à ce moment-là ? Nous pensons que la réponse est à rechercher dans le fait que le capitalisme, comme chacun sait, se transforme an impérialisme entre la fin du XIX, siècle et le début du XX. Et qu’est ce que cela signifie, sinon une accentuation de la politique militariste des Etats nationaux ? Bien avant les analyses léninistes, les masses traduisirent par leur action libertaire cette conscience théorique. Bien avant qu’on se lance dans des réflexions analytiques, des militants anonymes firent quotidiennement leur ces réflexions en les pratiquant dans la rue, dans les usines, les camps, les casernes. Savoir y lire tout un discours logique et cohérent, savoir y lire toute la force de cette conscience (mais peut-être y a-t-il une meilleure manière ?), voilà un exemple d’interprétation de l’action comme pensée.

33) L’humanisme anarchiste n’est pas, comme l’a écrit Gramsci, une formulation théorique qui fait abstraction des conditions historiques et, par conséquent, une vague aspiration humaine. S’il en avait été ainsi, il ne se serait jamais historiquement objectivé en un mouvement et la pensée elle-même n’aurait aucune histoire. Cf. A. Gramsci : "Socialisti e Anarchici", in A. Gramsci : aScritti Politici", a cura di Paolo Spriano, Edttori Riunjti, Rome, 1969, p.237 et suiv. N.D.T. : il s’agit d’un texte publié en 1920 dans l’"Avanti" turinois et traduit en français aux Editions Sociales in "Gramsci et l’Etat">.

34) Pour une traduction en termes théorico-stratégiques de cet aspect idéologique, traduction qui se précise dans la transformation de la lutte de classe en lutte révolutionnaire, voir la première partie de AA.VV. : "Anarchismo 70. Un Analisi Nuova per la Strategia di Sempre", ’Antistato, Cesena, 1973, pp.13-28.

35) "La mentalité "chiliaste", écrit Mannheim, en faisant abstraction des structures spatio-temporelles du monde, conçoit comme une concrétisation immédiate la réalisation du futur projet social, c’est-à-dire croit qu’il est possible de réaliser ICI et MAINTENANT le projet utopique. Cette attitude d’"indétermination historique" a trouvé son expression moderne dans l’anarchisme extrémiste." Cf. K. Mannheim : "Ideologia e Utopia", Il Mulino, Bologne, 1965, pp. 219-220, p. 246 et suiv.

36) Les marxistes, affirme Bakounine, nous "reprochent seulement de vouloir presser et anticiper le lent cheminement de l’histoire et de ne pas reconnaître la loi positive des progressives" lCf. M. Bakounine-. "Lettre au joumal "La Liberté" de Bruxelles" ,in "Œuvres", Stock, Paris, 1910, tome IV, p.3751. "Matérialistes et déterministes comme monsieur Marx, nous aussi reconnaissons le fatal enchaînement des faits économiques et politiques dans histoire. De même que nous reconnaissons le caractère nécessaire et inévitable de tous les événements qui se succèdent, nous ne nous inclinons pas avec indifférence devant ceux-ci et, surtout, nous nous gardons bien de les louer et de les admirer quand, par leur nature, ils se révèlent en contradiction flagrante avec le but suprême de l’histoire, avec l’idéal profondément humain". Cf. M. Bakounine : e Fragments formant suite à l’Empire Knouto Germanique",dans M. Bakounine : "Œuvre ", tome IV, pp. 456457.

Nous avons cité ces deux extraits de Bakounine parce qu’ils nous semblent bien représenter la conception anarchiste de l’histoire : matérialistes lorsqu’il s’agit de la reconnaître, révolutionnaires et anarchistes quand il s’agit de vouloir l’orienter à des fins humaines.

37) C’est une constatation commune à beaucoup d’historiens. Par exemple, voici ce qu’écrit Carr :

"La révolution de février 1917 qui renversa la dynastie des Romanov fut l’explosion spontanée du mécontentement d’une multitude exaspérée par les privations de la guerre et par la patente disparité de la répartition des fardeaux sociaux (...) Les partis révolutionnaires n’eurent aucune part directe dans le déroulement de la révolution. Ils ne l’attendaient pas et, aux tout début, elle les embarrassa un peu". Cf. E.H. Carr : "La Rivoluzione Boîscevica", Emaudi, Turin, 1964, p.72 et suiv. N.d.T. : en francais : vol. I : "La Révolution Bolchevique (1917-1923">, Gallimard . Toujours sur l’explosion de la révolution, Voline écrit : Encore une fois, l’action des masses fut une action spontanée I... I. Cette action ne fut ni organisée ni guidée par aucun parti". Cf. Voline : "La Révolution Inconnue", P. 77 et 63 de l’édition italienne.

38) Le programme de Cronstadt n’a pas de spécificité idéologique anarchiste. On ne peut pas plus affirmer qu’il y ait eu un mouvement précis orienté en ce sens. Les anarchistes n’étaient qu’une des composantes du mouvement révolutionnaire alors existant. A ce propos, voir ce qu’écrit Ida Mett sur l’influence réelle des anarchistes. Cf. I. MetS : "La Rivolta di Kronstadt", Azione Comune, Milan, 1962, pp.7 76 lEdition francaise : "Cronstadt 1921", Editions de la Tête de Feuillesl. Cette thèse est confirmée par Voline, lequel interprète cette révolte comme un produit entièrement spontané et autonome. Cf. Voline : "La Révolution Inconnue", vol. Il, pp.1 73 à 252. Enfin, on peut lire ce qu’en a écrit récemment Paul Avrich : "La rébellion, en somme, ne fut inspirée ni dirigée par aucun groupe ou parti. Ses auteurs(...)n’avaient pas d’idéologie organique ni de plan d’action". Cf. P. Avrich : "Kronstadt 1921", Princeton University Press, New-Jersey, 1970, p.1 70. Edition française : Paris, Le Seuil, collection "Points", 1975.

39) Dans "Le Mouvement Makhnoviste", Archinoff écrit que le makhnovisme, bien que né en dehors de la tutelle des organisations anarchistes, "resplendissait de la lueur de l’anarchisme et suggérait involontairement l’idée de ce dernier. L’anarchisme était, parmi toutes les doctrines sociales, la seule à laquelle la masse des insurgés révolutionnaires s’arrêtât avec de l’affection. Beaucoup d’entre eux s’intitulaient anarchistes, sans renoncer à ce titre, même en face de la mort." Cf. P. Archinoff : "Le Mouvement Makhnoviste", Belibaste, Paris, 1969, p.360. Toujours dans le même texte, on peut trouver des documents qui témoignent de l’orientation anarchiste du makhnovisme.

40) N.d.T. : l’opinion de Berti. n’engage que lui, car Archinoff, de son côté, est loin d’être aussi complaisant pour le mouvement anarchiste russe organisé. Cf. "Le Mouvement Makhnoviste", p. 353 et suiv.

41) Pour les réalisations sociales effectuées durant la révolution, outre l’ouvrage fondamental de Peirats déjà cité, voir Gaston Levai : " Espagne libertaire ", Ed. de la Tête de Feuilles, 1971, et F. Mintz : "L’autogestion dans l’Espagne Révolutionnaire".

42) Pour ces questions, nous renvoyons au livre de Vernon Richards : "Enseignement de la Révolution espagnoles, UGE., 10/18, Paris, 1975. N.D.T. : voir également le bouquin magistral de Carlos Semprun-Maura : "Révolution et Contre-révolution en Catalogne", Mame, Tours, 1974 ; ainsi que le texte de Helmut Wagner : "L’Anarchisme et la Révolution Espagnole", n "La Contre Révolution Bureaucratique", U.G.E., 10/18, Paris, 1973, pp.209 à 2380.