.TAZ . Un Essai de Hakim Bey

Traduit de l’Anglais par Christine Tréguier,
avec l’assistance de Peter Lamia & Aude Latarget.

ORIGINE

- Les utopies pirates

-En attendant la Révolution

- La psychotopologie du Quotidien

- La Musique comme Principe d’organisation

- La volonté du Pouvoir comme Disparition

- Des trous-à-rats dans la Babylone de l’Information

- Appendices & Notes

"... Cette fois-ci pourtant, je viens en tant que Dionysos victorieux, qui va mettre le monde en vacances.... Mais je n’ai pas beaucoup de temps" Nietzsche (de sa dernière lettre "folle" à Cosima Wagner).

Les utopies pirates

Les pirates et les corsaires des mers du 18 ème siècle créérent un "réseau d’information" à l’échelle du globe : primitif et conçu surtout pour le business, le réseau fonctionna néanmoins admirablement. Il était parsemé d’îles et de caches éloignées où les bâteaux pouvaient s’approvisonner en eau et nourriture, et échanger le butin contre des produits de luxe ou de nécessité. Certaines de ces îles hébergeaient des "communautés intentionnelles", de micro-sociétés vivant sciemment hors la loi et déterminées à le rester, même si ce n’était que pour une courte, mais joyeuse, vie.

Il y a quelques années, j’ai feuilleté pas mal de documents secondaires sur la piraterie, dans l’espoir de trouver une étude sur ces enclaves - mais il semble qu’aucun historien ne les ait trouvées dignes d’analyse (William Burroughs a mentionné le sujet, tout comme l’anarchiste britannique Larry Law - mais aucune étude systématique n’a été réalisée). J’en revins donc aux sources premières et construisit ma propre théorie. Cet essai en expose certains aspects.. J’appelle ces colonies des "Utopies Pirates".

Récemment Bruce Sterling, un des chefs de file de la littérature Cyberpunk, a publié un roman situé dans un futur proche. Il est fondé sur l’hypothèse que le déclin des systèmes politiques mènera à une prolifération décentralisée d’expérimentation de modes de vie : méga-entreprises aux mains des ouvriers, enclaves indépendantes spécialisées dans le piratage de données, enclaves socio-démocrates vertes, enclaves Zéro-travail, zones anarchistes libérées etc. L’économie de l’information qui supporte cette diversité est appelée le Réseau ; les enclaves sont les Iles dans le Réseau (c’est aussi le titre du livre, en anglais "Islands in the Net").

Les Assassins du Moyen âge fondèrent un "état" qui consistait en un réseau de vallées de montagnes isolées et de châteaux, séparés par des milliers de kilomètres. Il était stratégiquement invunérable à l’invasion, alimenté par la circulation des agents secrets, en guerre avec tous les gouvernements, et avec pour seul objectif la connaissance. La technologie moderne et ses satellites espions, donne à de ce genre d’autonomie le gout d’un rêve romantique. Finies les îles pirates ! A l’avenir cette même technologie - libérée de tout contrôle politique - permet d’envisager un monde entier fait de zones autonomes. Mais aujourd’hui le concept reste précisément de la science fiction - de la spéculation pure.

Sommes-nous, nous qui vivons dans le présent, condamnés à ne jamais vivre l’autonomie, à ne jamais être, pour un moment, sur une parcelle de terre dont la seule loi soit la liberté ? Sommes nous réduits à la nostalgie du passé ou du futur ? Devrons nous attendre que le monde entier soit libéré du joug politique, pour qu’un seul d’entre nous puisse revendiquer de connaître la liberté ? La logique et l’émotion s’unissent pour condamner une telle supposition. La raison demande qu’on ne puisse combattre pour ce que l’on ignore ; et le coeur se révolte devant un univers cruel au point de faire peser de telles injustices sur notre seule génération humaine.

Dire " je ne serais pas libre tant que tous les humains (ou toutes les créatures sentantes) ne seront pas libres" équivaut simplement à se terrer dans une espèce de nirvana-stupeur, à abdiquer notre humanité, à nous définir comme des perdants.

Je crois qu’en extrapolant à partir d’histoires d’"îles dans le réseau", futures et passés, nous mettrons en évidence qu’un certain type d’"enclave libre" est non seulement possible à notre époque, mais qu’elle existe déjà. Toutes mes recherches et mes spéculations se sont cristallisées autour du concept de "zones autonomes temporaires " (en abrégé TAZ). En dépit de sa force synthétisante sur ma propre pensée, qu’on n’y voit pas plus qu’un essai (une tentative), une suggestion, presque une fantaisie poétique. Malgré l’enthousiasme Ranteresque* de mon langage, je n’ai pas envie de construire un dogme politique. En fait je me suis délibérement interdit de définir la TAZ - je tourne autour du sujet en lançant des sondes exploratoires. La TAZ, en fin de compte, est presque auto-explicite. Si l’expression devenait courante, elle serait comprise sans difficulté... comprise dans l’action.