La coopération : ses origines, ses précurseurs ,

1 ère P a r t i e

Si l’on veut en croire Mandel dans son traité d’économie marxiste, l’ « organisation coopérative du travail » est une donnée commune aux sociétés antérieures. Cette tradition reste vivace, Mandel précise que "la coopération du travail subsiste en général au cours du processus séculaire -sinon millénaire de désagrégation de la communauté du village". On en retrouve les traces dans des usages comme les corvées, la transhumance collective, les terrains municipaux. Le groupement des énergies (force de travail) et des ressources (matières premières et instruments de transformation) sont les deux traits principaux de l’entraide. Les FRUITIERES DU JURA sont un des exemples les plus caractéristiques : chaque paysan ne pouvant pas produire sa meule de gruyère, la mise en commun de la production laitière est nécessaire.

L’idée de coopérative n’est donc pas une notion nouvelle quand en 1844, à ROCHDALE, faubourg industriel de Manchester, 28 ouvriers tisserands dont plusieurs en chômage, fondèrent la célèbre société des EQUITABLES PIONNIERS DE ROCHDALE, qui fit école par sa réussite. Elle est à l’origine directe du mouvement coopératif, anglais d’abord, puis sur le continent.

Les tisserands de ROCHDALE suivaient l’exemple des ouvriers des chantiers maritimes de WOOLWICH et de CHALTHAM qui dès 1760 s’approvisionnaient en farine auprès des moulins établis par eux et gérés par eux. A la même époque, en Ecosse, une coopérative fut fondée en 1761 à FENWICK par des ouvriers tisserands à domicile qui s’étaient associés pour acheter en commun des peignes et autres accessoires de leur profession. En 1769, ils décidèrent d’acheter en commun des denrées alimentaires.

Parallèlement, en France, en 1834, quatre ouvriers parisiens (conseillés par Buchez) fondèrent l’Association chrétienne des bijoutiers en doré avec un capital de 600 francs. L’association compta jusqu’à huit succursales à Paris. Elle survécut jusqu’en 1873, on la cite souvent comme exemple de première coopérative de production. L’année suivante, en 1835, la "société : le commerce véridique et social" fondée par Michel DERRION à Lyon (Disciple hérétique de Fourier) pratiquait déjà la répartition des excédents au prorata des achats. Cette règle devint un principe fondamental de la coopération.

En plus de cette tradition, il est nécessaire de souligner l’influence très importante en cette première moitié du XIXème siècle des courants de l’utopie. Nous nous contenterons de résumer brièvement l’apport de chacun des utopistes. (Pour une analyse plus approfondie se reporter à 1a littérature très riche sur le sujet.)

Fourier (1772-1837) lance l’idée des phalanstères, vastes communautés où tout sera mis en commun. Tout le travail, même ménager, sera fait sur des bases coopératives. En roi de l’utopie Fourier prévoit tous les points de détail de la future vie phalanstérienne. Plusieurs aspects de sa pensée sont très importants. D’abord, pour arriver à chasser l’aliénation sous toutes ses formes, il faut l’abondance. Ceci est souvent oublié par les communautaires qui prônent l’ascétisme en pensant que de changer les conditions de vie (communautés, travail hors des circuits de production) peut suffire à faire régner, 1’Harmonie. En plus, Fourier, au moment de 1a naissance de l’industrie (qu’il juge absolument nécessaire) revendique un nouvel urbanisme adapté aux nouvelles conditions de vie ; 1a campagne sera le lieu rêvé pour 1e phalanstère fouriériste. Sa pensée (touffue) retrouve un écho et son audience s’élargit,

Cabet (1788-l856) a essayé de donner corps à l’utopie. Il reprend les idées de Babeuf et d’Owen. Son rêve de reconstruction de la société repose sur sa croyance en la perfectibilité de l’homme•". Il projette son désir de société dans son livre « Voyage en Icarie ». L’implantation en Amérique de son « Icarie » fut une pitoyable déroute. Les intrigues et les disputes intérieures se succédèrent.

Un collaborateur de Cabet, Dezany a aussi fait 1 ’éloge de la vie communautaire sans toutefois se lancer à corps perdu dasn une Icarie. I1 écrit dans son Code de la communauté en 1842 : Et c’est parce qu’enfin il ne me reste plus 1’ombre d’un doute et que je me sens en état de faire briller à tous les yeux le prisme sauveur, que je m’écris avec plus d’enthousiasme que jamais : Communauté, Communauté ! "

Un disciple de Fourier, Considérant (1808-1893) part pour les Etats Unis et fonde une commune sociétaire « LA REUNION » sur les bords de la Red River. L’échec ne se fait pas attendre et la guerre de Sécession isole les colons de leur voisins esclavagistes.
Dans ce contexte utopique se dégage une figure de proue :Owen.

Robert OWEN

L’influence d’Owen fut primordiale sur deux plans : les coopératives quoique indirectement, et le mouvement ouvrier. Par coopération, Owen entendait communisme. Les premières sociétés coopératives qui réunissent ses disciples sont des associations dont les membres versent, une cotisation hebdomadaire dans l’unique dessein d’accumuler un capital destiné à. la fondation de villages communautaires. La coopérative de production communiste est la réoccupation essentielle des premiers congrès coopératifs anglais de 1831-1832.
Owen se différencie des autres utopistes par ses réalisations concrètes. D’abord, ses expériences de New-Lamark, ému et révolté par la misère et l’exploitation des ouvriers et
surtout des enfants dans les filatures industrielles, il se lance dans des réformes sociales dans la fabrique dont il est le co-directeur ; il réduit. à 10 heures 3l4 le temps de travail, au lieu des 14 heures et plus de l’époque, Par étape, il fit de telle sorte qu’il n’y ait plus d’enfants de moins de dix ans dans les filatures. Il crée une école pour que les enfants puissent se développer "le caractère et acquérir une personnalité". Il devient un pionnier de l’éducation. "Les enfants ne doivent pas être injuriés, ni effrayés„," La danse, le chant et l’exercice physique ont une grande place dans l’enseignement de New-Lamark. Il ouvre les écoles aux tout petits. Le jeu pour Owen revêt une importance primordiale, la transmission du savoir n’occupant qu’une place secondaire. I1 fut en butte à de multiples oppositions.
A son tour Owen part en Amérique pour lancer une communauté à New-Harmony où 800 personnes se rassemblèrent. Après un départ fulgurant, la déconfiture ne tarde pas, seule l’école a survécu.
Dans ses tournées clé conférences et de débats pour faire avancer le mouvement coopératif dont le but était la constitution de Marchés du Travail qui permettaient aux coopérateurs
de toutes les branches de production d’apporter leurs articles au Bazar Central, où ils seraient échangés contre des bons de travail, basés sur 1 ’estimation du coût des matières premières et du temps nécessaire à la production ; pendant toutes les réunions qu’il avait Owen fréquentait beaucoup de syndicalistes. Owen, pris dans sa vision coopératiste, ne vit pas l’agitation politique ou plutôt ne l’estima pas à sa réelle signification, Il considéra comme une adhésion unanime à la coopération, la simple espérance mêlée au désespoir de la classe ouvrière. Ce monde réceptif et explosif lui donna espoir d’établir sa communauté socialiste. I1 crut pouvoir influencer les syndicats pour qu’ils deviennent des groupements coopératifs de production afin qu’ils remplacent l’Etat par un réseau de coopératives liées les unes aux autres. Owen participa activement à la création du "Grand Syndicat National Unifié" qui en peu de temps eut un effectif d’un demi million d’adhérents. II. aida aussi les syndiqués du bâtiment dans la constitution de leur Guilde Nationale qui essaya d’organiser la production en
vue de rendre superflus les entrepreneurs capitalistes et de relever 1e niveau de vie de ses membres et d’entreprendre une « rééducation de leurs enfants et d’eux-mêmes ». Très vite, les conflits apparurent et les positions d’Owen, outre son paternalisme autoritaire, ne pouvaient en aucune façon coïncider avec celles des syndicats. Toutefois, il faut reconnaître qu’il apporta énormément à ceux-ci ; ils purent commencer à s’organiser, clarifier et approfondir leurs idées.

Voilà très brièvement 1e climat général. dans lequel les coopératives actuelles virent le jour. Elles sont donc issues à la fois de l’utopie et du désir tout puissant des masses laborieuses de se sortir de leur misère et de s’émanciper.