1869

Janvier

M. communique à E. le Vorbote qui contient le récit des renvois massifs des rubaniers et teinturiers en soie de Bâle. Il dit son mécontentement des porte-parole suisses de l’A.I.T. qui « ont le talent particulier de rendre l’A.I.T. responsable de toute querelle locale entre les maîtres et les ouvriers », mais « négligent de prendre toute espèce de mesures pour les cas de conflit, par exemple la constitution de trade-unions. » (ler janv.)

Sur la proposition de M., le C.G. décide de transférer le prêt remboursé par les ouvriers du bronze de Paris aux tisserands en grève à Rouen. Parlant des effets de la concurrence dans l’industrie cotonnière, sur la situation des ouvriers en France, M. signale que les fabricants français utilisent comme principale arme, contre leurs concurrents anglais, plus puissants et mieux outillés, les bas salaires des ouvriers français. (5 janv.).

M. informe E. de la décision prise par le C.G. [le 22 déc. 1868] concernant la non-admission de l’Alliance de la Démocratie socialiste : « Depuis, nous avons reçu des lettres de Bruxelles, Rouen, Lyon, etc. dans lesquelles on approuve énergiquement la décision du C.G. Pas une voix ne s’est élevée en faveur du groupe initiateur de Genève. Il apparaît que ce groupe n’a pas procédé très honnêtement, puisqu’il ne nous a informés de sa fondation et de son activité qu’après avoir décidé de gagner les Bruxellois, etc. » A propos de la lettre de Bakounine (jointe par M. à sa propre lettre) : « D’abord, cette lettre s’est croisée avec notre « message » concernant l’Alliance. Bakounine se berce donc encore de l’agréable illusion qu’on le laissera faire. Puis, le Russe Serno [...] était fortement contre Bakounine. Dans une réponse à Serno, j’ai voulu utiliser ce jeune homme comme informateur sur Bakounine. Comme je me méfie de tout individu russe, je l’ai fait dans la forme suivante : Que devient mon vieil ami (j’ignore s’il l’est encore) Bakounine, etc. ? Notre Russe Serno se hâte de communiquer cette lettre à Bakounine, et celui-ci en profite pour faire une entrée sentimentale [en fr.] ! »

A propos des démarches de Becker dans l’affaire du lock-out de Bâle : « [...] nous n’en savons jusqu’ici rien d’autre que ce qu’en dit le Vorbote. Sur cette base, rien ne peut être fait auprès des trade-unions et il est même impossible de publier quoi que ce soit sur cette affaire au nom du C.G. [...] Bref, il y a huit jours, le C.G. a décidé d’infliger un blâme aussi bien à Becker qu’à Perret (le correspondant français pour Genève) qui ne nous ont pas encore fait parvenir les documents sur l’affaire de Bâle [...] Ce vieux Becker devrait enfin s’apercevoir que nous tenons les rênes dans nos mains, bien que nous nous abstenions aussi longtemps que possible de toute inter-vention directe ». La lettre de M. se termine par des détails sur les grèves des tisserands à Rouen, Vienne, etc. et des mesures prises en leur faveur par le C.G. : « Au demeurant, ces ouvriers français agissent d’une manière beaucoup plus ration-nelle que les Suisses, tout en étant beaucoup plus modestes dans leurs revendications. » (13 janv.)
M. à E, : cc Liebknecht m’écrit qu’une- révolte contre notre vieux Becker est imminente en Suisse et en Allemagne, et qu’on ne pourra éviter un scandale publie que si Becker rompt avec Bakounine et abandonne ses manières dictatoriales. » (28 janv.)

Février

M. propose au C.G. de solliciter des syndicats anglais une aide financière pour les tisserands et les soyeux en grève à Bâle. (2 févr.)

M. sur Cowell Stepney, trésorier du C.G. : « [...] un homme très riche et très aristocratique, mais entièrement dévoué à la cause ouvrière, bien que d’une manière un peu folle [...]. » (M. à Kugelmann, 11 févr.)

Absorbé par son travail pour le Capital, M. demande à E. de rédiger un rapport sur les mutuelles des mineurs des charbonnages de Saxe. Le rapport est adopté par le C.G. (23 Févr.). Une traduction allemande, faite par M., en sera publiée dans le Social-Demokrat (17 mars) et dans d’autres journaux allemands.

M, envoie à E, plusieurs exemplaires des résolutions dai Congrès de Bruxelles : « Sous prétexte que les résolutions de Genève forment une partie du programme, nous avons fait imprimer une partie des résolutions présentées au Congrès de Genève par le C.G. de Londres et adoptée par le Congrès de Genève, en supprimant les amendements etc., proposés à Genève par les Français et également adoptés (rien que des inepties). C’est donc cette partie qui est de ma plume. En revanche, je ne suis pour rien dans la rédaction des résolutions de 1868. La seule phrase textuelle de moi est le premier considérant sur les effets du machinisme. » (24 févr.)

Mars

L’Alliance de la S.D. ayant adressé au C.G. son nouveau programme et ayant demandé que ses sections soient admises comme sections de l’A.I.T. après sa propre dissolution, M. communique le document à E. et lui soumet l’ébauche d’une réponse. Il y souligne qu’il n’incombe pas au C.G. de se livrer à un examen critique du programme de l’Alliance ni de rechercher s’il est une « expression scientifique adéquate du mouvement ouvrier ». Ce qui lui incombe, c’est de savoir si sa tendance générale n’est pas contraire à celle de I’A.LT. : « l’émancipation complète de la classe ouvrière. o Or, le programme de l’Alliance réclame « l’égalisation dés classes » alors que le but suprême de l’Internationale est l’abolition des classes. Ceci supposé, chaque section porte seule la responsabilité de son propre programme ; rien ne s’oppose donc à ce que les sections de l’Alliance deviennent des sections de l’A.I.T. « La communauté d’action, stimulée par l’A.I.T., l’échange d’idées entre les divers organes des sections dans tous les pays, enfin les discussions directes aux Congrès ne manqueront pas d’engendrer peu à peu un programme théorique commun à tout le mouvement ouvrier. » (5 mars.)

E, approuve le plan de la réponse que M. destine « au Russe et à sa suite ». (7 mars.)

Sur la proposition de M., le C.G. décide que, l’Alliance une fois dissoute, ses sections seront admises à condition que leur programme ne viole pas les principes de l’A.I.T. (9 mars.)

M. à E. : « La réponse aux Genevois est partie [...] Ces Messieurs ont [...] encore adressé une lettre privée à Eccarius d’après laquelle seuls les efforts de Becker, Bakounine. et de l’écrivain Perret auraient empêché une rupture directe. Leur programme « révolutionnaire » aurait eu, en quelques semaines, plus d’effet en Italie, Espagne, etc. que le programme de l’A.I.T. en plusieurs années. 5i nous rejetons leur « programme révolutionnaire », nous provoquerons une coupure entre les pays avant un mouvement ouvrier a révolutionnaire » (ce sont, selon leur énumération, la France, où ils ont en tout deux correspondants, la Suisse (!), l’Italie, où les ouvriers (à l’exception de ceux qui sont avec nous) sont à la remorque de Mazzini, l’Espagne (où il y a plus de curés que d’ouvriers) et les pays à développement lent de la classe ouvrière (c’est-à-dire l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis et la Belgique). Donc rupture entre le mouvement volcanique et plutonique d’une part, et le mouvement aqueux d’autre part. - Les Suisses représentants du type révolutionnaire, - c’est vraiment amusant. o (14 mars.)

A la veille de l’assemblée générale de l’A.D.A.V. à Elberfeld, Bebel demande à M., en son nom et en celui de Liebknecht, de s’opposer, le cas échéant, à l’adhésion de l’organisation de Schweitzer à l’A.I.T. « Et cela après que Wilhelm et Cie n’ont pas fait un seul pas en faveur de l’Internationale depuis 1e Congrès de Nuremberg [...] ». (M. à E., 29 mars.)

Avril

M. à E., à propos de la collaboration promise par Applegarth et Odger au journal Citizen Newspaper, projeté par le tailleur oweniste Lloyd Jones : « Odger et Applegarth sont possédés par la rage des bons offices et le zèle de la respectabilité. A M. Applegarth nous avons fortement lavé la tête, au C.G. Pour ce qui est de la collaboration d’Odger elle ne va jamais au-delà des intentions, et ici on n’a que sourire pour ce genre de promesses de sa part. n (5 avr.)
L’ouvrier F. Moll renseigne M, sur la section de l’A.I.T. à Solingen et l’atmosphère d’hostilité à l’égard de Schweitzer dans l’A.D.A.V. (6 avr.)

M. informe le C.G. de l’activité des sociaux-démocrates au lieichstag de l’Allemagne du Nord. Il s’attaque de nouveau à la branche française de Londres. (17 avr. )

Au C.G., Eugen Hins, délégué du Conseil fédéral belge, fait un rapport sur les massacres dont les mineurs en grève à Seraing et à Frameries ont été les victimes. M. est chargé de rédiger une Adresse de protestation. (20 avr.). A la séance suivante, il donne lecture d’un projet de rédaction. (27 avr.)

Mai

Le C.G. adopte l’Appel aux ouvriers d’Europe et d’Amérique, rédigé par M., pour dénoncer le gouvernement de Belgique, cet « Etat modèle du constitutionnalisme continental, ce petit paradis confortable, bien clôturé, du propriétaire foncier, du capitaliste et du curé. Le globe parachève sa révolution avec moins d’exactitude que le gouvernement belge ses massacres annuels parmi les ouvriers. [... ] Le capitaliste belge ne veut pas seulement que son ouvrier reste un esclave misérable, il veut en outre, comme tout esclavagiste, que son ouvrier soit un esclave soumis, rampant, moralement asservi, religieusement humilié, au ceeur contrit. [...] On comprend facilement que l’A.I.T. ne soit pas un hôte bienvenu en Belgique. Excommuniée par la prêtraille, diffamée par la presse honorable, elle ne tarda pas à entrer en conflit avec le gouvernement. Celui-ci fit tout pour s’en débarrasser, en s’efforçant de la rendre responsable des grèves dans les mines de Charleroi, 1867 à 1868, grèves qui, selon l’immuable règle belge, se terminèrent par des massacres officiels et par des poursuites juridiques contre les victimes [...] Le C.G. de l’A.I.T. appelle les ouvriers d’Europe et d’Amérique à organiser des collectes d’argent, afin d’adoucir les souffrances des veuves, femmes et enfants des victimes belges, payer les frais de défense des ouvriers inculpés et faciliter l’enquête projetée par le comité de Bruxelles » (4 mai.)

M. à E., à propos de l’Adresse sur les massacres belges : « J’ai été chargé de rédiger l’Adresse. Si j’avais refusé, c’est à Eccarius que l’affaire serait échue, et il n’a pas le moindre talent pour ce genre de documents éloquents. J’ai donc accepté. S’il m’a déjà été difficile de le faire en anglais, vu l’état actuel de mon foie - puisque pour ces choses, il faut un style rhétorique - il s’y ajoutait encore la peine de le faire en français ? Mais nécessité fait loi, et je l’ai fait en français. » (8 mai.)

Face à la menace d’une guerre entre l’Angleterre et les Etats-Unis, M. écrit une Adresse à l’Union Nationale des ouvriers des Etats-Unis. Il en donne lecture au C.G. qui l’adopte et le fait imprimer comme tract. (Vorbote, 1869, p. 179). L’Adresse se termine par ces mots : « C’est à vous qu’incombe la tâche glorieuse de prouver au monde que désormais la classe ouvrière entre sur la scène de l’histoire non pas comme une suite servile, mais comme une puissance indépen. dante, qui est consciente de sa propre responsabilité et qui est en mesure de commander la paix, au moment où ceux qui se prétendent ses maîtres crient à la guerre. » (11 mai.)

M, à Kugelmann : « J’ai vu votre lettre à Borkheim. Vous écrivez justement que le bavardage à la Saint-Barthélémy sur les massacres de Belgique n’aura pas d’effet. Mais vous méconnaissez pour votre part l’importance et la signification particulière de ces événements. Vous devriez savoir que la Belgique est le seul pays où le sabre et le mousqueton sont chaque année, et de façon régulière, le dernier mot de chaque grève. Dans une Adresse au C.G. que j’ai écrite en français et en anglais cette question est clairement exposée. » (11 mai.)

M, à E. : « Ces sales journaux ! Non seulement ils ont, en bloc, supprimé chaque mot de notre missive belge [...], ils ont également, en bloc, supprimé notre Adresse [...] à l’Union des ouvriers américains, bien qu’elle se prononce contre. la guerre entre les Etats-Unis et l’Angleterre. Certes, il y a des choses que ces canailles n’aiment point. » (14 mai.)

A l’annonce de la mort de Peter Fox-Andrée, membre actif de l’A.I.T., décédé à Vienne, M. exhorte la mère du défunt, femme fortunée, à venir en aide à la veuve et aux enfants : « Je l’ai menacée : si elle ne donne rien, une quête publique sera organisée pour son fils, à Londres. » (M. à E., 21 mai.)

Ernst Werner, relieur à Leipzig, demande à M. d’établir des rapports entre le syndicat des relieurs de Leipzig et son homologue anglais ; il annonce la fondation d’une section de l’A.I.T. à Leipzig, composée de membres de l’A.D.A.V., de l’Association ouvrière et des syndicats. (28 mai. CHR., p. 281.)

Juin

De Paepe demande à M, d’élaborer, en vue du prochain Congrès, une résolution détaillée sur la question de la propriété foncière, eu égard aux mémoires préparés par les proudhoniens français et belges en cette matière. (6 juin. CHR., pp. 281-2.)

A son retour de Manchester, où il a séjourné pendant quelques semaines, M, assiste au C.G. dont la discussion porte sur l’arrestation de membres parisiens de l’A.I.T. : « J’ai été hier à l’Internationale. Lettre de Paris. Trois à quatre de nos gens (Murat. Varlin, etc.) arrêtés. On nous écrit que les gamineries, dévastation de kiosques, etc., ont été montées par des agents de la police, qui se sont jetés ensuite sur le public qui n’y était pour rien. Tout cela pour provoquer un faitdivers « sanglant o. » (16 juin.)

Le C.G. adopte le programme en cinq points du prochain Congrès de l’A.LT. : 1° Question de 1a propriété foncière. 2° Question du droit d’héritage. 3° Dans quelle mesure la classe ouvrière peut-elle utiliser directement le crédit ? 4° Question de l’instruction générale, 5° L’influence des coopératives sur l’émancipation de la classe ouvrière. (22 juin.)

Juillet

M. décline l’invitation pressante de Liebknecht d’assister en août au Congrès des Associations ouvrières à Eisenach. Exprimant son mécontentement des procédés de Liebknecht, M. fait part à E. de la réponse qu’il lui avait faite : « Je ne sens nullement le besoin de me montrer aux amis allemands et je n’irai pas à leur Congrès. Lorsqu’ils se seront joints réellement à l’Internationale et se seront donné une bonne organisation de parti [...], l’occasion ne manquera pas de se présenter. » (3 juil.)

Répondant à la lettre de C, De Paepe (6 juin), M. expose à celui-ci ses idées sur la doctrine proudhonienne de la propriété foncière. (Début juil., CI3R., p. 282.)

Au C.G., M. participe à la discussion sur la propriété foncière. Dans une première intervention, il oppose à l’argument du « droit naturel o sur 1e sol, l’idée de la « nécessité sociale n et du « droit social o qui justifient l’institution de la propriété commune. (6 juil.)

Séjour de M, à Paris, chez P. et L. Lafargue : « J’ai réussi à rester tout à fait incognito, [...] Je n’ai vu ni Schily, ni personne d’autre, me contentant strictement de la famille. v (M, à E., 14 juil.)

M. à E. : « J’ai envoyé [à Liebkneeht] 900 cartes d’adhésion en précisant que la cotisation annuelle est de 1 d. Sur 900 cartes, j’en ai mis 500 gratuitement à sa disposition, afin que ces gens puissent se faire représenter au Congrès. Et voilà qu’il me demande s’il faut payer des cotisations fixes ! [...] Ce vieil imbécile de Becker ferait mieux de ne pas mêler officiellement l’Internationale à ce procès de dissolution de l’église lassallienne, mais d’observer une réserve en toute objectivité. » (17 juil.)

Au C.G., M. ouvre le débat, provoqué par l’Alliance de la Démocratie socialiste, sur la question de l’héritage. Il passe en revue les diverses formes historiques du droit d’héritage et conclut que, pour la classe ouvrière, qui n’a rien à léguer, cette question n’a pas d’intérêt. Ce qui pourrait intéresser les ouvriers, c’est i’auâmentation de l’impôt progressif sur les héritages, avec exemption des petites fortunes. « Il faudrait d’abord être en mesure de changer l’ordre existant, après quoi le droit d’héritage disparaîtra de lui-même. » (20 juil.)

Rendu furieux par une information du Demokratisches Wochenblatt selon laquelle le C.G. prendrait parti pour Liebknecht dans son conflit avec Schweitzer, M, menace de désavouer publiquement Liebknecht « s’il commet encore une fois une telle insolence » - qui, de plus, repose sur un mensonge, « car le C.G. n’a jamais soumis l’affaire Schweitzer, etc. à un débat et encore moins à une décision [...] [Liebknecht] n’a même pas l’excuse d’être inconditionnellement des nôtres. Il commet ses bêtises sous sa propre responsabilité, nous trahissant quand bon lui semble et nous identifiant à lui, quand il ne sait plus comment se tirer d’affaire [...] Les Allemands se font une étrange idée de nos moyens financiers [...] Ils n’ont jamais envoyé un liard. Le C.G. doit cinq semaines de loyer et n’a pas payé son secrétaire. » (M. à E., 22 juil). - « Le bonhomme [Liebknecht] pense que des mensonges officiels, comme ceux sur les prétendues décisions du C.G., sont, dans sa bouche, autorisés, mais, dans la bouche de Schweitzer, tout-à-fait inadmissibles. Et pourquoi s’est-il réconcilié à Lausanne avec ce monstre de Schweitzer ? Et sa théorie de l’action ! Elle signifie que M. Wilhelm a le droit de se servir, « de sa propre autorité », de mon nom et du C.G. quand cela lui convient. » (24 juil.)

M. prend position contre les thèses exprimées dans le Vorbote par J. Ph. Becker concernant l’organisation du futur parti social-démocrate allemand : « [Becker] démolit tout notre statut et l’esprit des statuts par son système de groupes linguistiques, il transforme notre système naturel et spontané en méchante construction artificielle, à base de liens linguistiques au lieu des liens réels que sont les Etats et les nations. Voilà une machination archiréactionnaire, digne des panslavistes ! Et tout cela, parce que nous l’avons autorisé provisoirement, en attendant que l’Internationale se renforce en Allemagne, à demeurer le centre de ses anciens correspondants. » (M. à E., 27 juil.). - M. avait écrit dans le même sens à Bebel : « J’ai attiré son atienüon sur l’article 6 des statuts qui ne reconnaît que des comités nationaux en contact direct avec le C.G. ; là où ces comités sont interdits, les groupes locaux de chaque pays sont obligés de carrespondre directement avec le C.(’r. Je lui ai exposé l’absurdité des prétentions de Becker et je lui ai déclaré en terminant que si le Congrès d’Eisenach acceptait le projet Becker - pour autant qu’il concerne l’A.I.T. - nous l’annulerons aussitôt publiquement parce que contraire aux statuts. Bebel et Liebknecht m’avaient d’ailleurs spontanément écrit qu’ils ne reconnaîtraient pas Becker, mais correspondraient directement avec Londres. Becker n’est pas, lui-même, dangereux ! Mais [...] son secrétaire Remy lui a été octroyé par Bakounine et il est l’instrument de ce dernier. Manifestement, ce Russe voudrait devenir le dictateur du mouvement ouvrier d’Europe. Qu’il prenne garde, sans quoi il sera officiellement excommunié. » (Ibid.)

Au C.G., M. parle de la question de l’héritage. L’Alliance de Genève est admise comme section de l’A.I.T. (27 juil.)

M. à E. : « Le Beehive est maintenant sous le contrôle de Samuel Morley et, depuis, il supprime tout ce que les comptes rendus de nos séances contiennent d’idées anti-bourgeoises. Il en est ainsi de mon exposé, dans la dernière réunion du C.G., sur le droit d’héritage romain et germanique [...] Pendant mon séjour à Paris, ces Messieurs ont fait des bêtises ; ils ont accueilli cinq membres de la société Bronterre O’Brien, des individus aussi sots et ignares que querelleurs et fiers de leur esotérisme sectaire. » (29 juil. )

E. adresse à M. ses critiques du projet de Becker, qu’il soupçonne d’être poussé par Bakounine : « Si ce maudit Russe pense effectivement à se hisser en intriguant à la tête du mouvement ouvrier, il est temps qu’on s’en occupe sérieusement et qu’on soulève la question de savoir si un panslaviste peut être membre d’une association internationale d’ouvriers. » (30 juil.)

Août

E. ayant proposé à M. de faire ensemble un voyage en Allemagne, M, répond que s’il partait maintenant, le C.G. serait complètement perdu à cause des travaux préparatoires du Congrès de Bâle. (2 août.)

Au C.G., M, parle du futur congrès socialiste d’Eisenach. Sa résolution sur le droit d’héritage est adoptée ; elle déclare que « la disparition du droit d’héritage, sera le résultat naturel d’un changement social abolissant la propriété individuelle des moyens de production », et propose comme mesures transitoires « l’extension de l’impôt sur le droit d’héritage, l’emploi des fonds ainsi obtenus à des « mesures d’émancipation sociale » et la « limitation du droit de tester ». (3 août.)

M. à E. : « Hier, séance tragi-comique au C.G. Sommations de payer les cartes, le loyer, le salaire du secrétaire, etc. Bref, banqueroute internationale, si bien qu’on ne voit guère comment nous allons envoyer un délégué [...] Becker, le chef de la tribu parlant l’allemand nous envoie 285 d. pour ses « myriades », L’histoire, en un mot la voici : les comités locaux (et centraux) dépensent trop d’argent et font trop payer à leurs gens pour leurs besoins nationaux et locaux, pour qu’il en reste quelque chose pour le C.G. Pour impripartie prêté et en partie donné, il y a un an, par les tradeunions d’ici. [...] J’ai obtenu que des délégués soient envoyés aux syndicats d’ici pour leur faire la morale, à l’occasion du remboursement. o (18 août.)

Septembre-Octobre

M. rédige le rapport annuel de C.G. et l’envoie, en même temps que ses résolutions sur les questions de l’enseignement et de l’héritage, à Bâle, où se tient le Congrès de l’A.I.T. (Début sept.)

Lessner renseigne M. sur le déroulement du Congrès de Bâle (7 - Il sept.). La résolution du C.G. sur le droit d’héritage est rejetée par 32 voix contre 23 et 13 abstentions. Parmi les résolutions votées figure celle, fortement appuyée par Bakounine, qui autorise le C.G. « à admettre ou à repousser l’affiliation de toute nouvelle société— ou groupe » [...] et à « suspendre jusqu’au prochain Congrès une section de l’Internationale », en outre, une résolution décidant que « ne seront admis à siéger et à voter dans le Congrès que les délégués [...] qui sont en règle avec le C.G. pour le paiement de leur cotisation ». La résolution sur la propriété du sol. déclare que « la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol dans la communauté. » (54 oui, 4 non, 13 abstentions).

De retour d’Allemagne, où il a séjourné plusieurs semaines, M. fait au C.CT. un bref exposé sur les progrès du mouvement ouvrier allemand. (19 oct.)
M. à E. : « Le ’grand Bakounine doit se rendre à Naples, comme délégué à un Congrès d’athées, qui est organisé là-bas contre le concile œcuménique ». (23 oct.)

Au C.G., M. déclare que la manifestation londonienne [du 24 octobre] en faveur des Fenians prouve qu’une partie au moins de la classe ouvrière anglaise a abandonné ses préjugés contre les Irlandais. Il informe le C.G. du Congrès des ouvriers hollandais d’Arnheim et donne lecture de la lettre de l’Association des relieurs de Leipzig. (26 oct.)

Novembre

Bakounine répond à Herzen qui lui avait reproché de ne jamais s’attaquer à M. directement : « Laissant de côté toutes les vilenies qu’il a vomies contre nous, nous ne saurions méconnaître, moi du moins, les immenses services rendus par lui à la cause du socialisme, qu’il sert avec intelligence, énergie et sincérité depuis près de vingt-cinq ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés. Il a été l’un des premiers fondateurs, et assurément le principal, de l’Internationale, et c’est là, à mes yeux, un mérite immense, que je reconnaîtrai toujours, quoi qu’il ait fait contre nous [...] C’est également par tactique, par politique personnelle que j’ai tant honoré et loué M. [...] Nos ennemis constituent une phalange qu’il faut d’abord diviser, briser, pour pouvoir ensuite les battre plus facilement. [...] Si j’entamais une guerre ouverte contre M., les trois quarts de l’Internationale se tourneraient contre moi [...] M. est indéniablement un homme très utile à l’A.I.T. [...] Cependant, il pourrait arriver [...] que j’engage une lutte avec lui non pas pour l’offense personnelle [...] mais pour une question de principe, à propos du communisme d’Etat dont lui-même et les partis anglais et allemand qu’il dirige sont les plus chauds partisans. Alors ce sera une lutte à mort ». (28 oct.)

M. à E. : « Il est naturel que Serno-Soloviévitch se soit donné la mort. Mais que Bakounine, avec qui il était en mauvais termes jusqu’au dernier moment, se soit emparé de ses papiers, voilà qui est une découverte peu naturelle. A propos ! Le secrétaire de notre comité génevois en a assez de Bakounine, qu’il accuse de tout désorganiser par sa « tyrannie ». Dans l’Egalité, B. fait entendre que les travailleurs anglais et allemands n’éprouvent pas le besoin d’individualité, et c’est pourquoi ils acceptent notre communisme autoritaire. En revanche, la cause de B., c’est le collectivisme anarchique. Évidemment, l’anarchie est dans sa tête où il n’y a place que pour une seule idée claire, à savoir que B. devrait jouer le premier violon [...] Un des résultats du congrès de Bâle (d’ailleurs directement inspiré par le C.G.) est la constitution de la Land and Labour-League, par quoi le parti ouvrier se dégage entièrement de la bourgeoisie, le point de départ étant la nationalisation du sol. Eccarius en a été nommé au poste de secrétaire actif [...] ». (30 oct.)

Au C.G., John Hales annonce la fondation de la Land-and Labour League. (2 nov.)
M. assiste à une séance du sous-comité à laquelle il est décidé d’inscrire à l’ordre du jour du C.G. la question des fenians incarcérés. Malade, M. adresse au C.G. une lettre proposant un débat sur la politique du gouvernement anglais, dans l’affaire de l’amnistie des Fenians et sur la position de la classe ouvrière anglaise à l’égard de la question irlandaise. Le C.G. adopte cette proposition et charge M. d’ouvrir la discussion lors de sa prochaine réunion. (9 nov.)
Au C.G., M. fait l’historique du mouvement en faveur de l’amnistie des Irlandais incarcérés et dénonce l’attitude de Gladstone inspirée par le « vieil esprit des conquérants anglais ». Il soumet au C.G. un projet de résolution, qui résume ses conclusions et déclare que « le C.G. exprime son admiration pour la manière courageuse, énergique et magnanime avec laquelle le peuple irlandais mène son agitation en faveur de l’amnistie. » (16 nov.)

M. informe E. du débat sur l’Irlande et lui demande de compléter, le cas échéant, le projet de résolution qui sera discuté à la prochaine séance du C.G. Dans la même lettre, il rapporte un incident à propos de l’admission du tradeunioniste G.J. Holyoake : « Le débat sur son admission sera orageux, car il compte beaucoup d’amis parmi nous et peut nous jouer maints tours [...] Quel est ton avis sur la tactique à suivre ? » (18 nov.) E. propose quelques changements de forme. Quant à Holyoake, il conseille - bien que H. « n’ait jamais rien fait pour la classe ouvrière comme telle » - de l’admettre au C.G. afin d’éviter des scissions éventuelles. (19 nov.)

Au C.G., Mottershead, soutenu par ’Odger, défend la politique irlandaise de Gladstone. Dans sa réplique, M, maintient son point de vue et déclare : « Le citoyen Mottershead n’est pas disposé à nous dire ce qu’il pense des Irlandais ; s’il veut savoir ce que d’autres peuples pensent des Anglais, il fera bon de lire Ledru-Rollin et d’antres auteurs du continent. J’ai toujours défendu les Anglais et je continuerai de le faire. » (23 nov. )

M. est informé par Eugène Dupont des progrès de l’A.I.T. en France et du rôle néfaste qu’y jouent les correspondants « individualistes » et « proudhoniens » dont il faudra se débarrasser. (D. à M., 22 nov.)

M. informe E. du déroulement du débat houleux au C.G. sur la résolution concernant l’Irlande : « Applegarth était assis à côté de moi et n’osa donc pas parler contre, il parla même pour, mais visiblement avec mauvaise conscience. » (26 nov.)

Mi. fait part à Kugelmann de sa campagne, au C.G., contre Gladstone, dans la question de l’amnistie irlandaise : « J’ai attaqué à présent G. [...] exactement comme j’ai attaqué autrefois Palmerston. Se trouvant à l’abri, les réfugiés démagogues d’ici aiment à se déchaîner contre }es despotes du continent. Pour moi, ce genre de choses n’a de charme que si cela se passe au nez du tyran menaçant. o M, expose ensuite son point de vue sur la nécessité, pour }a classe ouvrière anglaise, de faire cause commune avec les Irlandais : « La première condition de l’émancipation de ce pays - la chute de l’oligarchie terrienne - reste une impossibilité [...1 aussi longtemps que celle-ci occupe en Irlande son avant-poste si fortement retranché. » (29 nov.)

Au C.G., M. reprend sa polémique contre Odger. Sa résolution sur les Fenians est adoptée à l’unanimité. Il critique le Beehive qui tronque et supprime les comptes rendus des séances du C.G. (30 nov.)

Décembre

M. informe E. du vote unanime par le C.G. de la résolution sur les Irlandais : « A l’exception de Mottershead [...] et d’Odger [...] les délégués anglais ont eu un comportement excellent [...] Il faut lutter non seulement contre les préjugés anglais, mais aussi contre l’imbécillité et la bassesse des porte-parole irlandais à Dublin [...] ». Dans la même lettre, M. informe E. qu’à la demande obstinée d’Applegarth il avait exposé en « huit pages bien serrées » son point de vue sur la propriété foncière et la nécessité de son abolition, en guise de commentaire de la résolution votée au Congrès de Bâle.

Applegarth « est très important, car il a été reconnu par les deux Chambres du Parlement comme le représentant officiel des trade-unions. o (4 déc.)
M. informe E. des demandes pressantes des coopérateurs socialistes de Solingen qui cherchent des actionnaires et de l’aide financière pour leurs coopératives de production. « Ces gens m’ont ennuyé avec leurs appels, comme ils ont ennuyé le C.G. et le Congrès de Bâle, etc. Ils admettent eux-mêmes que leur coopérative de production n’a qu’un intérêt local. Comment peuvent-ils espérer que les pays étrangers - vu les sacrifices que nous coûtent les grèves, etc. internationalement, vu les difficultés de centaines de coopératives françaises et anglaises - leur offrent ne serait-ce qu’un centime ? Ils ont pourtant vu ce que les appels enthousiastes de Becker leur ont rapporté. o Pour des raisons générales et personnelles (« ces gens de Solingen sont pour toi et moi des soutiens dans la province rhénane »), M. demande à E. de souscrire un certain nombre d’actions. Dans la même lettre, M, résume sa prochaine intervention au C.G. sur la question irlandaise : « J’ai cru longtemps qu’il serait possible de renverser le régime irlandais par l’ascension de la classe ouvrière anglaise. J’ai toujours défendu cette thèse dans la New York Tribune. Des études plus approfondies m’ont convaincu du contraire. Le prolétariat anglais ne parviendra à rien tant qu’elle ne se sera pas débarrassé de l’Irlande. Le levier doit être appliqué en Irlande. C’est pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social tout court. n (10 déc.)

M. informe le C.G. des attaques lancées par l’Egalité de Genève contre le C.G. A ce propos, il rappelle que Liebknecht est membre de l’A.I.T. alors que Schweitzer ne l’est pas ; il fait quelques brèves remarques sur l’importance de la question irlandaise pour le mouvement ouvrier en Angleterre. (14 déc.)

M, envoie à E. l’Egalité dont il attribue les attaques contre le C.G. à Bakounine [l’auteur en était en fait Paul Robin, secrétaire de la section genevoise de l’Alliance bakouniste], « Bakounine dispose maintenant de quatre organes de l’Internationale [...]. Il cherche à prendre pied en Allemagne en s’alliant à Schweitzer, et à Paris en flagornant le journal Le Travail. Il croit que le moment est venu pour entamer une querelle publique avec nous. Il se donne le rôle de gardien du vrai prolétarianisme. Mais je lui réserve une surprise. La semaine prochaine, [...] nous enverrons un avertissement au comité fédéral romand à Genève, et comme ces Messieurs (du reste, beaucoup, peut-être la plus grande partie en sont contre Bakounine) savent que nous pouvons le cas échéant [...] les suspendre, ils réfléchiront à deux fois ». « [...] A cette occasion, une correction sera appliquée à certains intrigants qui usurpent une autorité qui ne leur revient pas et qui veulent soumettre l’Internationale à leur direction privée o. M. réfute les critiques de l’Egalité et informe E. qu’il a écrit en détail à De Paepe. (17 déc.)

Gutsmann, ébéniste à Breslau et membre de l’A.I.T., demande à M. d’intervenir au C.(’T. pour procurer des secours aux mineurs en grève de Waldenburg : « Nous admirons en vous le fondateur de l’A.I.T. [...]. v (1 ? déc.)

M, rédige le rapport, préparé par Eccarius, sur le Congrès de Bâle. (Fin déc.)